A l’approche de l’élection présidentielle, l’étau se resserre sur Internet en Russie
Le service de messagerie instantanée Telegram condamné et menacé de blocage pour ne pas avoir livré ses clés de chiffrement aux autorités, le site d’information Open Russia bloqué sans autre forme de procès, de nouvelles menaces contre Twitter et YouTube… Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle offensive des autorités russes contre Internet, à l’approche de l’élection présidentielle de mars 2018.
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Une cour d’appel de Moscou a confirmé, le 12 décembre 2017, la condamnation du service de messagerie Telegram à 800 000 roubles d’amende (environ 11 500 euros) pour avoir refusé de livrer ses clés de chiffrement aux services secrets (FSB). La dernière étape en date d’un affrontement qui aura duré toute l’année entre la messagerie cryptée et les autorités. Si Telegram ne plie pas, l’application pourrait être bloquée dès le 28 décembre en Russie.
Les autorités fondent leur requête sur une loi antiterroriste draconienne, adoptée en 2016 malgré les protestations unanimes de la société civile. Telegram dénonce une atteinte injustifiée à la liberté d’expression et à la vie privée. Le service de messagerie, qui a construit son image sur le respect de ces valeurs, assure ne même pas avoir accès aux clés de chiffrement des conversations, qui sont générées sur les terminaux des utilisateurs. Le 13 décembre, l’association Agora, qui représente les intérêts de Telegram en justice, a sollicité l’intervention du Rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d’expression, David Kaye.
Le même jour, un tribunal administratif de Moscou a rejeté la plainte introduite contre le FSB par le célèbre journaliste indépendant Oleg Kachine : celui-ci faisait valoir que la demande faite à Telegram menaçait le secret des sources. Une plainte similaire, déposée par son confrère Alexandre Pliouchtchev, avait déjà été rejetée fin octobre.
Blocage et menaces de blocages
La récente loi permettant aux autorités russes de bloquer sans décision de justice les sites liés à des “organisations étrangères indésirables” n’a pas non plus tardé à produire ses effets : le 12 décembre, le site d’information indépendant Open Russia a été bloqué en Russie, au même titre que toutes les ressources liées de près ou de loin aux onze organisations déclarées “indésirables” à ce jour. Si Open Russia est lié au mouvement politique du même nom, lancé par l’opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski, il ne lui est pourtant pas juridiquement associé.
Pour ne pas être en reste avec le parquet, l’autorité de surveillance des télécommunications (Roskomnadzor) s'est lancée dans un nouveau bras de fer avec les géants de l’Internet mondial : elle a officiellement demandé à Twitter, YouTube et autres de rendre inaccessibles les comptes d’Open Russia, sous peine de voir leurs services bloqués à leur tour. Le réseau social russe Odnoklassniki, quant à lui, a immédiatement obtempéré.
Le 14 décembre, le Roskomnadzor a demandé aux médias de retirer tout lien hypertexte vers les sites bloqués, au motif qu’ils “contribuent à diffuser de l’information illégale”. Un avertissement à prendre au sérieux : le site d’information The News Times a déjà été rappelé à l’ordre, fin novembre, pour trois liens vers des “contenus illégaux”, en l’occurence… des pages contenant des jurons.
“Les autorités russes n’ont eu de cesse de durcir la législation applicable à Internet ces dernières années, et le résultat est là : un niveau de censure inédit, rappelle Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF. Ces nouvelles attaques contre la liberté d’expression violent la Constitution russe et la Convention européenne des droits de l’homme. Nous demandons à nouveaux aux autorités russes le retrait des lois liberticides et le respect de leurs engagements internationaux.”
Autre incident récent suggérant une préparation à l’élection présidentielle de mars 2018 : le 29 novembre, des utilisateurs russes de l’application YouTube pour Android se sont aperçus qu’un certain nombre de recherches donnaient des messages d’erreur, notamment les noms de l’opposant Alexeï Navalny, des médias indépendants Novaïa Gazeta, Dojd, Meduza, Open Russia et du blogueur Dmitry Ivanov. En utilisant un VPN ou en changeant une lettre à l’orthographe de ces noms, en revanche, les résultats réapparaissaient. Google, propriétaire de YouTube, a réparé cette "erreur" dans la soirée, sans toutefois fournir d’explications.
La Russie occupe la 148e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Très libre il y a encore quelques années, l’Internet russe a été largement repris en main depuis la répression des manifestations massives contre les fraudes électorales en 2011-2012. Au cours de l’année 2017, quelques manifestations d’opposition ont drainé de nombreux jeunes, suggérant que la génération Internet était moins influencée que ses aînés par la propagande des grandes chaînes de télévision fédérales. Vladimir Poutine vient d’annoncer sa candidature pour un quatrième mandat à l’élection présidentielle.