John Kerry doit "soulever les défaillances de la liberté de la presse"

En l'honneur du 20ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et le Vietnam, John Kerry effectue une visite officielle à Hanoï. A cette occasion, RSF écrit au secrétaire d'Etat afin de lui demander d'exhorter le gouvernement vietnamien à libérer les journalistes et net-citoyens actuellement emprisonnés et à mettre fin au harcèlement et à l’agression des acteurs de l'information.

Secrétaire d’État des États-Unis John Kerry
Département de l’État
2201 C Street NW
Washington DC 20520
USA

Washington, 6 août, 2015 Monsieur le Secrétaire Kerry, Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de l’information, tient à vous faire part de ses préoccupations concernant la situation de la liberté de la presse au Vietnam, à l’occasion de votre visite officielle à Hanoi du 6 à 8 août. Durant cette visite où vous allez discuter des questions régionales et bilatérales, ainsi que participer au 20ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et le Vietnam, RSF vous demande de soulever les défaillances à l’égard de la liberté de la presse et de l’expression dans ce pays qui est placé 175e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse que notre ONG a publié en 2015. Le Vietnam est toujours l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes professionnels ou amateurs. Actuellement, deux journalistes et 26 net-citoyens sont emprisonnés. Trois blogueurs, Le Thi Phuong Anh, Do Nam Trung et Pham Minh Vu, ont été condamnés à des peines de prison allant de 12 à 18 mois le 12 février 2015 pour “abus de libertés démocratiques.” Ils ont été arrêtés pour avoir utilisé leurs comptes Facebook afin de “disséminer des contenus incitant et conduisant à des rassemblements anti-étatiques,” selon la Cour, alors qu’ils couvraient une manifestation anti-chinoise conduite par des ouvriers travaillant dans le forage pétrolier en Mer orientale. Le contenu offensif consistait en 157 articles et photos postés sur Facebook, jugés “insultants envers le prestige de l’Etat et du Parti communiste, et portant atteinte à la confiance du peuple, en particulier des ouvriers, des étudiants et des jeunes, envers le Parti.” C’est en vertu de ce même argument que la licence du journal Nguoi Cao Tuoi (Personnes âgées) a vu sa licence révoquée et que des poursuites ont été lancées, le 7 janvier 2015, à l’encontre du rédacteur en chef, Kim Quoc Hoa. Ce dernier a par le passé publié sur des affaires de corruption impliquant des officiels de haut rang, ce qui lui a valu d’être menacé par les plus hautes instances du pouvoir. Le harcèlement des journalistes s’est poursuivi au Vietnam, notamment lors du 40e anniversaire de la fin de la guerre. Le 30 avril 2015, le journaliste indépendant Pham Chi Dung et sa famille ont été ciblés par la police vietnamienne à sa maison à Ho Chi Minh ville. Dung, qui figure sur notre liste de “100 héros de la liberté de la presse”, a dénoncé le harcèlement continu dont il fait l’objet depuis des mois et la privation de sa liberté de mouvement dans une lettre adressée à Le Thanh Hai et Nguyen Chi Thanh, respectivement secrétaire local du Comité du Parti et chef de la police d’Ho Chin Minh ville. Président de l’association des journalistes indépendants du Vietnam (IAJVN) fondée l’année dernière et soutenue par RSF, Dung promeut la liberté de l’information et dénonce régulièrement le contrôle du Parti sur la presse, dans laquelle il a travaillé. Son cas est loin d’être isolé. Plusieurs journalistes citoyens et blogueurs ont été placés sous étroite surveillance, sujets à l’intimidation et, dans certains cas, battus. Partout dans le pays, les dispositifs de résidence surveillée ont été renforcés et les figures emblématiques de l’information libre au Vietnam se sont vues empêchées de couvrir les commémorations ou les manifestations organisées par la population. La répression de la liberté de la presse et de l’expression ne s’arrête pas là. Ces évènements au moment de l’anniversaire soulignent une tendance générale de répression, emprisonnement, violence et intimidation au Vietnam. Au moment où les États-Unis célèbre 20 ans de relations diplomatiques avec le Vietnam, nous vous demandons d’exhorter le gouvernement vietnamien à : - respecter la liberté de l’information et de la presse ; - libèrer tous les journalistes professionnels ou amateurs actuellement en prison ; - mettre fin au harcèlement et à l’agression physique systématiques des blogueurs, cyber-militants, et de leurs proches ; - abroger les lois répressives, notamment les articles 88, 79, et 258 du code pénal, en vertu desquels plusieurs journalistes citoyens et blogueurs ont été emprisonnés. En tant que partenaire commercial des États-Unis et membre des négociations du partenariat transpacifique, le Vietnam doit remplir et respecter ses obligations afin de garantir aux journalistes qu’ils puissent faire leur travail et s’exprimer librement sans craindre les attaques physiques ou l’emprisonnement. Les États-Unis ne peuvent pas ignorer l’importance de ce partenariat pour le Vietnam. Une fois conclu, il renforcera sûrement l’économie nationale. De ce fait, le partenariat ne devrait pas être uniquement un cadre pour développer un libre réseau d’échanges commerciaux dans la région, mais devrait servir d’instrument pour promouvoir les droits de l’homme, la bonne gouvernance, et la liberté de l’information et d’expression. Je vous remercie d’avance, Monsieur le Secrétaire Kerry, pour l’attention que vous accorderez à cette lettre. Christophe Deloire Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016