Inde : désavoué par les urnes au Jammu-et-Cachemire, le Premier ministre Narendra Modi doit desserrer l’étau répressif autour des médias

Dans le territoire du Jammu-et-Cachemire, les premières élections législatives en une décennie ont porté le principal parti d’opposition à la tête de l’exécutif local, notamment sur la promesse de restaurer la liberté de la presse. Un signal pour le gouvernement de Narendra Modi alors désavoué dans cette région : la répression des journalistes cachemiris doit cesser, les trois reporters emprisonnés doivent être libérés.

“Au cours des cinq dernières années, un quart des journalistes emprisonnés sous des prétextes fallacieux en Inde est originaire du Jammu-et-Cachemire. Ce régime de terreur visant les professionnels des médias cachemiris doit prendre fin. RSF appelle les autorités à libérer Abdul Aala Fazili sur le champ, ainsi que les deux journalistes, Irfan Mehraj et Majid Hyderi. La population du Jammu-et-Cachemire a, par son vote, clairement exprimé son exaspération face aux assauts contre l’état de droit et la liberté de la presse depuis la révocation du statut de semi-autonomie de la région en 2019. Le Premier ministre Narendra Modi doit laisser les coudées franches à l’exécutif local et desserrer d’urgence l’étau répressif autour des médias locaux.

Célia Mercier
Responsable bureau Asie du Sud de RSF

À la tête, donc, de l’exécutif local depuis sa victoire aux élections législatives régionales, le 8 octobre 2024, le National Conference Party doit s’atteler à concrétiser l’une de ses promesses de campagne : restaurer la liberté de la presse au Jammu-et-Cachemire, mise à mal par le gouvernement nationaliste hindou – le Bharatiya Janata Party (BJP) – de Narendra Modi depuis cinq ans. La révocation sans consultation du statut de semi-autonomie de ce territoire frontalier de la Chine et du Pakistan, s’était accompagnée d’un black-out de dix-huit mois sur les télécommunications et Internet, imposé par New Delhi d’août 2019 à février 2021.

Depuis lors, les médias de ce territoire himalayen, déjà marqués par le conflit entre l’Inde et le Pakistan, ont fait l’objet d’une répression accrue du gouvernement de Narendra Modi. “L’exercice du journalisme n’a jamais été facile au Jammu-et-Cachemire”, résume la journaliste Anuradha Bhasin, originaire du Jammu-et-Cachemire, avec 35 ans de carrière à son actif. Elle décrit la “surveillance constante” imposée aux journalistes locaux, systématiquement interrogés par la police, et l’asphyxie financière des quotidiens régionaux, tributaires des subventions publiques. Le titre qu’elle dirige, le Kashmir Times, a fait les frais de ces attaques, contraint d’interrompre sa parution papier entre octobre 2022 et novembre 2023, mais a été relancé en ligne.

Trois journalistes détenus 

Trois journalistes cachemiris sont, à ce jour, derrière les barreaux, pour des accusations montées de toutes pièces afin de les réduire au silence. L’universitaire et collaborateur du média indépendant The Kashmir Walla Abdul Aala Fazili est emprisonné depuis avril 2022, accusé d’être l’auteur d’un article qualifiant d’“occupation” la présence indienne dans cette province. Le fondateur du média en ligne Wande Magazine Irfan Mehraj– qui est d’ailleurs mis à l’honneur dans un article du numéro spécial du magazine Society, réalisé avec RSF, revenant sur la situation dans la région – est lui en prison depuis mars 2023, ciblé par neufs chefs d’accusation dont “financement du terrorisme”. Quant au reporter freelance Majid Hyderi, il est incarcéré depuis septembre 2023, accusé, entre autres, d’“association de malfaiteurs” et de “diffusion de fausses informations”. En tout, 13 détentions de journalistes ont été répertoriées ces cinq dernières années dans cette seule région, soit un quart des 48 incarcérations de journalistes recensées par RSF dans l’ensemble du pays.

L’illusion d’une ouverture

Début juillet, la libération sous caution du journaliste du Kashmir Walla Sajad Gul, après deux années d’emprisonnement pour un simple tweet, aurait pu marquer le début d’une ère moins répressive. D’autant que le mois suivant, en pleine campagne des élections législatives régionales, les autorités ont annoncé la réouverture prochaine du Club de presse du Cachemire (Press Club of Kashmir), fermé plus de deux ans auparavant, en janvier 2022, à la suite d’un raid de la police dans ses locaux de Srinagar, la capitale de la province.

Or deux mois après cette annonce, l’association professionnelle n’a toujours pas repris ses activités. Et aucune garantie n’a été donnée quant à l’indépendance de sa future équipe dirigeante. Derrière cette ouverture en trompe-l’œil, les lois répressives utilisées contre les professionnels des médias demeurent en vigueur, à l’instar de la loi sur la sécurité publique au Jammu-et-Cachemire (Jammu-and-Kashmir Public Safety Act, PSA) – invoquée contre Majid Hyderi – permettant une incarcération de deux ans sans procès, et de la législation antiterroriste UAPA (Unlawful Activities Prevention Act), utilisée contre Irfan Mehraj. 

Passeports confisqués

Autre signe de la répression continue de New Delhi contre les professionnels des médias cachemiris, au moins une dizaine de journalistes seraient actuellement privés de passeport, et ainsi empêchés de voyager hors du pays, selon des informations recueillies par RSF. Ciblée par la loi antiterroriste UAPA en avril 2020, pour avoir publié du contenu “anti-national”, Masrat Zahra, une photojournaliste cachemirie primée, s’est, elle, retrouvée dans une situation de vide juridique lorsque son passeport indien a été tout simplement révoqué sans préavis alors qu’elle suivait des études aux États-Unis.

Dans cette région à majorité musulmane, les journalistes de cette communauté se voient par ailleurs ciblés par les politiques discriminatoires de la droite nationaliste hindoue de Narendra Modi. Au terme d’une décennie de gouvernance du BJP, l’Inde figure à la 162e place, sur 180 pays, au Classement 2024 de la liberté de la presse dans le monde établi par RSF.

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