Hongrie : RSF alerte sur les nouvelles mesures contre la liberté de la presse de Viktor Orbán

Après avoir rencontré les médias indépendants et les autorités nationales, Reporters sans frontières (RSF) exhorte les institutions européennes à se mobiliser pour sauver le journalisme hongrois, menacé par de nouvelles mesures draconiennes.

“Depuis la victoire écrasante du Premier ministre Viktor Orbán aux élections générales, le régulateur des médias, qui est sous l’emprise du gouvernement, a pris diverses mesures portant atteinte aux radios indépendantes. Aujourd’hui, le gouvernement prévoit d’imposer une taxe publicitaire potentiellement dangereuse pour le pluralisme des médias, déclare le responsable du bureau Union européenne/Balkans de RSF, Pavol Szalai, à son retour d’une mission en Hongrie. En outre, les journalistes critiques du gouvernement, ainsi que leur audience, se montrent de plus en plus désillusionnés, ce qui les rend d’autant plus vulnérables aux nouvelles mesures draconiennes prises par le prédateur de la liberté de la presse Viktor Orbàn. Afin de mettre un terme à ce cercle vicieux, les institutions de l’Union européenne doivent plus que jamais se mobiliser pour sauver le journalisme hongrois.”

RSF demande au Conseil de l’Union européenne (UE) d’exiger des autorités hongroises qu’elles s’expliquent sur la discrimination envers Klubradio et Tilo’s Radio quant à leur accès aux fréquences radio, lors de la prochaine audience sur la procédure de l’article 7 (susceptible de conduire à des sanctions pour non-respect des valeurs de l’UE). L’institution représentant les États membres de l’UE – présidée depuis le 1er juillet et pour six mois par le gouvernement tchèque – est également invitée à interpeller le gouvernement hongrois sur le projet de taxe publicitaire.

RSF appelle également la Commission européenne à faire pression, à travers des procédures d’infraction, sur le régulateur des médias hongrois pour qu’il cesse de discriminer les radios indépendantes. Et plus largement, l’organisation lui enjoint de renforcer l’indépendance des régulateurs nationaux dans la prochaine proposition de loi européenne sur la liberté des médias. Dans le cadre de l’enquête en cours sur le scandale du logiciel espion Pegasus, l’organisation demande aussi au Parlement européen d’examiner les manquements éventuels des institutions hongroises dans la protection des journalistes contre la surveillance arbitraire.

 

Seul pays de l’UE soupçonné d’espionner les journalistes via Pegasus

Les autorités nationales, qui ont rencontré RSF et d’autres organisations de défense de la liberté de la presse à la fin de mois de juin à Budapest, à l’invitation du Conseil de l’Europe, n’ont accordé que peu d’intérêt aux préoccupations exprimées par les ONG internationales présentes, et par les récents rapports critiques de la Commission européenne et de l’ONU, respectivement sur l’état de droit et les droits humains en Hongrie. Le secrétaire d’État et le porte-parole international du Premier ministre Viktor Orbán, Zoltán Kovács, a refusé de fournir des explications à RSF et aux autres organisations sur les motifs de “sécurité nationale et d’application de la loi” ayant mené à l’utilisation de Pegasus contre au moins trois journalistes hongrois depuis 2019. En invoquant la “confidentialité” des opérations d’espionnage de la sécurité nationale, il a ignoré la demande de transparence exprimée dans les recommandations de 2018 du Comité des droits humains de l’ONU à la Hongrie. Les institutions hongroises n’ont relevé aucune infraction au sein du seul pays de l’UE soupçonné d’avoir espionné ses propres journalistes à l’aide de Pegasus : mi-juin, le bureau du procureur hongrois a exclu toute surveillance non autorisée et, en janvier dernier, le médiateur des données a écarté toute violation des droits.

Zoltán Kovács a en outre souligné l’indépendance du Conseil des médias ainsi que la légalité du processus de sélection de ses membres, alors même que tous ont été nommés par la majorité au pouvoir. Il a opposé un refus à l’avis de la Commission européenne qui, en juin 2021, avait lancé une procédure d’infraction contre la Hongrie pour violation du droit européen pour décision “non transparente”, “disproportionnée” et “discriminatoire” du Conseil des médias de retirer de fréquence à Klubradio. Son contre-argument a consisté à faire référence à un récent verdict de la Cour suprême de Hongrie approuvant la décision du Conseil des médias et à une “certification” du cadre réglementaire hongrois par la Commission européenne en 2011. Son secrétariat n’a cependant pas répondu aux interrogations de RSF à propos de ce certificat.

 

De faibles justifications aux décisions du régulateur des médias

Lors de la réunion à Budapest, Zoltán Kovács a reproché aux organisations de défense de la liberté de la presse leur “politisation croissante”. Selon lui, le principal problème des médias est celui des normes journalistiques “dégradées”. La plus importante radio indépendante, Klubradio – qui, désormais, ne diffuse plus que via Internet auprès de ses 200 000 auditeurs quotidiens – est à ses yeux une “station marginale”.

Les représentants du Conseil des médias – qui ont également rencontré RSF et les autres organisations à l’invitation du Conseil de l’Europe – n’ont pas fourni d’explications crédibles et détaillées quant à la décision de priver Klubradio de sa fréquence en raison de quelques erreurs administratives commises en sept ans de diffusion. Ils n’ont pas plus expliqué leur décision, fin juin, d’attribuer, lors d’un appel d’offres public, l’ancienne fréquence de Klubradio à un autre candidat, Spirit FM, tout en la justifiant en partie par une évaluation “subjective”. Enfin, ils n’ont donné aucune précision sur la décision du Conseil des médias d’attribuer provisoirement, en 2021, l’ancienne fréquence de Klubradio à Spirit FM, en dehors de tout appel d’offres public et sur la seule demande de cette radio. Après un amendement à la loi sur les médias autorisant cette attribution provisoire, la fréquence a été accordée à Spirit FM, qui s’était présentée contre Klubradio pour son obtention à long terme.

 

Médias hongrois : entre indépendance, lassitude et craintes

Lors de ses rencontres avec 15 médias indépendants et associations de journalistes de Hongrie, Pavol Szalai les a interrogés sur les pressions qu'ils subissent de la part des autorités, tandis que Betrand Mossiat, responsable de la Journalism Trust Initiative, leur a présenté l’initiative de RSF en faveur des médias respectueux de l’éthique journalistique. Alors que les médias ont fait preuve d’une solide volonté de défendre leur indépendance vis-à-vis du gouvernement, plusieurs représentants ont exprimé leur inquiétude quant à leur avenir. Un rédacteur en chef a mentionné une baisse significative des ventes de son journal après les élections d’avril, qu'il a expliquée par la désillusion des lecteurs. Au cours de la mission, RSF a également pu observer une certaine lassitude chez les journalistes hongrois.

Les médias critiques du gouvernement appréhendent également l’introduction de la taxe publicitaire - annoncée par le gouvernement dans le contexte de la crise économique actuelle -, qui pourrait les affaiblir financièrement. Lors de la rencontre avec les organisations de défense de la liberté de la presse à Budapest, le porte-parole de Viktor Orbán n’a donné aucun détail sur la taxe, tout en “excluant” son “utilisation délibérée contre tout média”.

Il reste que cette taxe pourrait exposer les médias publiant encore de la publicité à leur rachat par des oligarques proches du parti au pouvoir, le Fidesz. Une nouvelle mesure hostile à la liberté de la presse, qui viendrait s’ajouter à la distribution inique de la publicité gouvernementale, au faible accès à l'information publique ou à la loi criminalisant la diffusion de fake news.

 

La Hongrie occupe le 85e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

 

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