Espagne : la liberté de la presse menacée par la procédure du gouvernement contre la désinformation
Reporters sans frontières (RSF) exprime son inquiétude sur la procédure de lutte contre la désinformation lancée par le gouvernement espagnol, dont les termes ambigus constituent une menace potentielle pour la liberté de la presse dans le pays.
Avec sa publication dans le Boletín Oficial del Estado (BOE), l’équivalent du Journal officiel, le 5 novembre dernier, la “procédure d’intervention contre la désinformation” définie par le gouvernement pour lutter contre le phénomène des fake news et approuvée par le Conseil de sécurité nationale le mois dernier, est désormais officiellement lancée.
Cette procédure, qui prévoit la surveillance des réseaux sociaux pour détecter des campagnes de désinformation venant de pays étrangers et, pour les contrer, des campagnes officielles de communication, constitue pour RSF une menace pour la liberté de la presse de par ses zones floues - dont le fait qu’elle soit menée par une commission composée de membres du gouvernement aux attributions imprécises, à qui il appartiendra de décider ce qui constitue, ou non, de la désinformation. A cela s’ajoute l’absence de consultation d’associations de journalistes ou de représentants de la société civile dans la rédaction de ce texte, dont l'ambiguïté des termes suscite l’inquiétude.
« Nous déplorons qu’une mesure aux termes aussi imprécis constitue le fondement d’une lutte contre la désinformation. Partout dans le monde, nous dénonçons les lois censées lutter contre les fake news qui, en réalité, visent à éroder la liberté de la presse à travers une ambiguïté délibérée, déclare le président de RSF Espagne, Alfonso Armada. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement espagnol de réviser, dans un esprit de précision, toutes les mesures de cette procédure, et de revenir sur son pouvoir de déterminer ce qui est et n’est pas de la désinformation. Nous sommes déterminés à suivre de près sa mise en œuvre. »
En réponse à l’avalanche de critiques qu’a soulevé la procédure chez les professionnels de l’information et les analystes, le gouvernement a insisté sur le fait que le texte ne concerne que les ingérences de pays tiers, en particulier lorsqu'elles concernent la sécurité nationale et les processus électoraux. Il reste que le texte est rédigé de telle sorte qu’il n'exclut pas clairement la chasse aux fake news produites en Espagne, ouvrant ainsi la voie au contrôle des contenus médiatiques.
Outre l’absence de participation de représentants des médias et de la société civile à l’élaboration de la procédure, RSF a également pointé celle du ministère de l'Éducation, qu’elle juge essentielle dans la mesure où seule une société formée dans le discernement de ce qui est une information fiable et véridique est capable de lutter contre un phénomène aussi complexe que celui de la désinformation.
L’organisation demande également au gouvernement de publier des données sur les campagnes de désinformation qu'il a détectées contre l'Espagne, en respectant les limites de la sécurité nationale, mais aussi son devoir de transparence envers la société et les médias.
Bien que la Commission européenne ait entériné cette procédure et l'ait inscrite dans le plan d'action de l'UE contre la désinformation, RSF appelle à ce que ses lacunes et imprécisions soient corrigées dans les plus brefs délais, afin de garantir que les contenus médiatiques ne fassent en aucun cas l'objet d’un contrôle par des membres du gouvernement et que la liberté de la presse soit respectée.
Face à la présence toujours plus forte des informations fausses ou manipulées en ligne, le Forum sur l’information et la démocratie lancé par RSF publie d’ailleurs, ce jeudi 12 novembre, son rapport « Pour mettre fin aux infodémies », avec 250 recommandations rédigées à partir d'une centaine de contributions d’experts internationaux.
L’Espagne occupe la 29e place sur 180 pays dans le Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2020.