« Donnez le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo »
Organisation :
A quelques jours de l'annonce de l'attribution du prix Nobel de la paix par le comité Nobel norvégien, le 8 octobre, Reporters sans frontières publie une lettre ouverte du philosophe chinois Xu Youxu en faveur de Liu Xiaobo(刘哓波). L'organisation s'associe à son appel pour que l'intellectuel emprisonné Liu Xiaobo, l'un des auteurs de la Charte 08 pour la démocratie en Chine, soit récompensé du prix Nobel de la paix 2010.
Je vous écris (au Comité Nobel, ndlr) pour vous presser de donner le Prix Nobel de la Paix à l'initiateur de la Charte 08, (le dissident chinois emprisonné) Liu Xiaobo. Bien que Liu Xiaobo ait beaucoup d'amis et de partisans, je n'ai fait sa connaissance qu'assez tard, il y a seulement quelques années. Quand au milieu des années 1980, Liu Xiaobo est devenu célèbre dans les milieux académiques chinois, j'étais chercheur invité à Oxford. Et c'est par les revues en chinois publiées à l'étranger que j'ai pris connaissances de ses opinions. A l'époque, j'estimais qu'à la différence de bien des intellectuels, ce n'étaient pas la radicalité de son discours ni la violence de ses critiques qui attiraient l'attention, mais la profondeur de sa pensée : dans sa critique des dogmes et de l'idéologie dominants, il allait plus loin que la plupart des intellectuels influents. En 1989, pendant le mouvement démocratique lancé par les étudiants, j'ai eu l'occasion d'observer Liu Xiaobo. A l'époque, il était professeur invité à l'étranger, mais alors que l'ombre de la répression se levait, tandis que d'autres cherchaient à trouver un moyen de s'enfuir à l'étranger, Liu Xiaobo a interrompu son séjour à l'étranger, et est rentré à Pékin pour se jeter dans ce mouvement de lutte pour la démocratie. Dans la nuit du 3 au 4 juin, j'étais sur la place Tiananmen, près du monument aux héros : Liu Xiaobo et trois autres intellectuels participaient à une grève de la faim, et ce sont eux qui à l'aube du 4 juin, ont convaincu les étudiants de quitter la place, et ont négocié avec l'armée venue les réprimer, permettant que l'évacuation de la place se passe sans problème. Je sais à quel point cette décision était difficile et pénible pour un Chinois élevé dans une idéologie ultra-radicale, mais elle a permis de sauver la vie de centaines, voire de milliers d'étudiants. Le comportement de Liu Xiaobo pendant le mouvement pour la démocratie de 1989 montre que ce critique culturel s'est alors transformé en intellectuel public et militant des droits de l'homme concerné par les problèmes politiques et sociaux. Les caractéristiques de son action et de son comportement en 1989 ont marqué toutes son action par la suite. Ces caractéristiques sont les suivantes. * Un courage inébranlable : il n'a jamais cherché à se cacher face à la répression et au danger, au contraire, il les a toujours regardés en face ; * la défense des valeurs universelles que sont la lutte pour la défense des droits de l'homme, l'humanisme et l'égalité ; * la décision de toujours se comporter de manière raisonnable, non violente, en cherchant le dialogue et la compromis. Depuis de nombreuses années, Liu Xiaobo est l'un des principaux porte-parole et animateur des mouvements pour la défense des droits de l'homme et la démocratie en Chine ; il a pris la tête des campagnes pour les prisonniers d'opinion, pour les paysans privés de leur terre, les citadins expulsés de leur logement , il s'est battu pour les droits religieux et culturels des minorités nationales au Tibet et au Xinjiang ; il a fait des propositions pour permettre une coexistence pacifique entre les Hans et les minorités nationales. Dans l'ensemble de ses activités en faveur des droits fondamentaux des citoyens chinois, Liu Xiaobo a toujours insisté sur le fait que les droits et la liberté de ses compatriotes sont garantis par la constitution et les lois chinoises ainsi que par la déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, et par l'ensemble des traités protégeant les droits de l'homme signés par le gouvernement chinois. Liu Xiaobo a toujours insisté sur le fait que le gouvernement chinois a le devoir de respecter la constitution, la loi et les traités internationaux qu'il a signés, et qu'il doit respecter les promesses faites au peuple chinois et à la communauté internationale. En 2008, Liu Xiaobo a lancé la « Charte 08 » (lire le texte intégral de la Charte08) dont le sens est de réaffirmer que la « déclaration universelle des droits de l'Homme » et les « pactes sur les droits civils et politiques » constituent des normes d'action pour le gouvernement et le peuple chinois ; que la Chine doit adopter ces normes si elle veut être un membre responsable de la grande famille internationale. C'est pour cela que Liu Xiaobo a été envoyé en prison ; c'est la troisième fois qu'il est enfermé pour avoir défendu la liberté et la démocratie en Chine. A Noël 2009, il a été condamné à onze ans de prison. Dans sa dernière déclaration au tribunal, il a affirmé qu'il n'avait pas d'ennemis, qu'il n'avait pas de haine. Il a déclaré que les policiers qui l'avaient surveillé, arrêté, interrogé, le procureur qui l'avait accusé n'étaient pas ses ennemis, bien qu'il ne reconnût pas la légitimité de la surveillance, de l'arrestation ni de leur accusation. En tant que théoricien politique, qu'intellectuel public chinois concerné par la défense des droits de l'Homme, et en tant que signataire de la Charte 08, je veux souligner que le fait que le verdict lu devant le Tribunal énonce comme preuve de sa culpabilité le fait qu'il ait écrit la Charte 08, et qu'il ait recueilli des signatures en sa faveur, constitue une provocation envers les valeurs universelles de l'humanité, envers les normes chères à la grande famille des nations, et envers le peuple chinois. J'estime que le prix Nobel de la Paix est un symbole des valeurs centrales du monde civilisé : ; quand Liu Xiaobo et les nombreux signataires de la Charte sont opprimés et réprimés pour le simple fait de réaffirmer le respect de la vie et de l'homme et le respect des libertés d'opinion et d'expression, le monde civilisé doit répondre à ce type de provocation. Accorder le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo est une forme de réponse, c'est une manière de réaffirmer les valeurs centrales de l'humanité, c'est un important soutien à la revendication de liberté et de démocratie des 1,3 milliard de Chinois, c'est un acte en faveur de la paix mondiale. Quand les autorités chinoises violent la Constitution, quand elles piétinent leur propre légalité, il faut qu'une voix extérieure, celle de la communauté internationale, les rappelle à la réalité. Accorder le Prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo représenterait une opposition à l'état actuel des choses ainsi qu'un rappel à l'ordre efficace et important (quanweixing). J'estime que les idées et les actes de Liu Xiaobo sont tout à fait comparables à celles de Sa Sainteté le Dalaï Lama, de l'Archevêque Desmond Tutu, d'Aung San Suu Kyi qui tous se sont efforcés de défendre les Droits de l'homme et de favoriser la transition vers une société pacifiée par des moyens raisonnables et non violents, par la persuasion et le compromis. Face aux mouvements de résistances qui se produisent dans toutes les nationalités, tous les endroits, toutes les couches sociales de Chine nous sommes dans l'obligation d'être vigilants afin d'empêcher l'émergence de tendances violentes. Si l'on accorde le Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo, dans toute la Chine, dans le monde entier, ceux qui luttent pour le respect des droits de l'homme trouveront l'espoir et une force d'inspiration dans la résistance raisonnable et non-violente, et le monde entier, l'humanité entière, enterrant le despotisme, enterreront du même coup la violence.
Par Xu Youyu | philosophe |
Je vous écris (au Comité Nobel, ndlr) pour vous presser de donner le Prix Nobel de la Paix à l'initiateur de la Charte 08, (le dissident chinois emprisonné) Liu Xiaobo. Bien que Liu Xiaobo ait beaucoup d'amis et de partisans, je n'ai fait sa connaissance qu'assez tard, il y a seulement quelques années. Quand au milieu des années 1980, Liu Xiaobo est devenu célèbre dans les milieux académiques chinois, j'étais chercheur invité à Oxford. Et c'est par les revues en chinois publiées à l'étranger que j'ai pris connaissances de ses opinions. A l'époque, j'estimais qu'à la différence de bien des intellectuels, ce n'étaient pas la radicalité de son discours ni la violence de ses critiques qui attiraient l'attention, mais la profondeur de sa pensée : dans sa critique des dogmes et de l'idéologie dominants, il allait plus loin que la plupart des intellectuels influents. En 1989, pendant le mouvement démocratique lancé par les étudiants, j'ai eu l'occasion d'observer Liu Xiaobo. A l'époque, il était professeur invité à l'étranger, mais alors que l'ombre de la répression se levait, tandis que d'autres cherchaient à trouver un moyen de s'enfuir à l'étranger, Liu Xiaobo a interrompu son séjour à l'étranger, et est rentré à Pékin pour se jeter dans ce mouvement de lutte pour la démocratie. Dans la nuit du 3 au 4 juin, j'étais sur la place Tiananmen, près du monument aux héros : Liu Xiaobo et trois autres intellectuels participaient à une grève de la faim, et ce sont eux qui à l'aube du 4 juin, ont convaincu les étudiants de quitter la place, et ont négocié avec l'armée venue les réprimer, permettant que l'évacuation de la place se passe sans problème. Je sais à quel point cette décision était difficile et pénible pour un Chinois élevé dans une idéologie ultra-radicale, mais elle a permis de sauver la vie de centaines, voire de milliers d'étudiants. Le comportement de Liu Xiaobo pendant le mouvement pour la démocratie de 1989 montre que ce critique culturel s'est alors transformé en intellectuel public et militant des droits de l'homme concerné par les problèmes politiques et sociaux. Les caractéristiques de son action et de son comportement en 1989 ont marqué toutes son action par la suite. Ces caractéristiques sont les suivantes. * Un courage inébranlable : il n'a jamais cherché à se cacher face à la répression et au danger, au contraire, il les a toujours regardés en face ; * la défense des valeurs universelles que sont la lutte pour la défense des droits de l'homme, l'humanisme et l'égalité ; * la décision de toujours se comporter de manière raisonnable, non violente, en cherchant le dialogue et la compromis. Depuis de nombreuses années, Liu Xiaobo est l'un des principaux porte-parole et animateur des mouvements pour la défense des droits de l'homme et la démocratie en Chine ; il a pris la tête des campagnes pour les prisonniers d'opinion, pour les paysans privés de leur terre, les citadins expulsés de leur logement , il s'est battu pour les droits religieux et culturels des minorités nationales au Tibet et au Xinjiang ; il a fait des propositions pour permettre une coexistence pacifique entre les Hans et les minorités nationales. Dans l'ensemble de ses activités en faveur des droits fondamentaux des citoyens chinois, Liu Xiaobo a toujours insisté sur le fait que les droits et la liberté de ses compatriotes sont garantis par la constitution et les lois chinoises ainsi que par la déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU, et par l'ensemble des traités protégeant les droits de l'homme signés par le gouvernement chinois. Liu Xiaobo a toujours insisté sur le fait que le gouvernement chinois a le devoir de respecter la constitution, la loi et les traités internationaux qu'il a signés, et qu'il doit respecter les promesses faites au peuple chinois et à la communauté internationale. En 2008, Liu Xiaobo a lancé la « Charte 08 » (lire le texte intégral de la Charte08) dont le sens est de réaffirmer que la « déclaration universelle des droits de l'Homme » et les « pactes sur les droits civils et politiques » constituent des normes d'action pour le gouvernement et le peuple chinois ; que la Chine doit adopter ces normes si elle veut être un membre responsable de la grande famille internationale. C'est pour cela que Liu Xiaobo a été envoyé en prison ; c'est la troisième fois qu'il est enfermé pour avoir défendu la liberté et la démocratie en Chine. A Noël 2009, il a été condamné à onze ans de prison. Dans sa dernière déclaration au tribunal, il a affirmé qu'il n'avait pas d'ennemis, qu'il n'avait pas de haine. Il a déclaré que les policiers qui l'avaient surveillé, arrêté, interrogé, le procureur qui l'avait accusé n'étaient pas ses ennemis, bien qu'il ne reconnût pas la légitimité de la surveillance, de l'arrestation ni de leur accusation. En tant que théoricien politique, qu'intellectuel public chinois concerné par la défense des droits de l'Homme, et en tant que signataire de la Charte 08, je veux souligner que le fait que le verdict lu devant le Tribunal énonce comme preuve de sa culpabilité le fait qu'il ait écrit la Charte 08, et qu'il ait recueilli des signatures en sa faveur, constitue une provocation envers les valeurs universelles de l'humanité, envers les normes chères à la grande famille des nations, et envers le peuple chinois. J'estime que le prix Nobel de la Paix est un symbole des valeurs centrales du monde civilisé : ; quand Liu Xiaobo et les nombreux signataires de la Charte sont opprimés et réprimés pour le simple fait de réaffirmer le respect de la vie et de l'homme et le respect des libertés d'opinion et d'expression, le monde civilisé doit répondre à ce type de provocation. Accorder le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo est une forme de réponse, c'est une manière de réaffirmer les valeurs centrales de l'humanité, c'est un important soutien à la revendication de liberté et de démocratie des 1,3 milliard de Chinois, c'est un acte en faveur de la paix mondiale. Quand les autorités chinoises violent la Constitution, quand elles piétinent leur propre légalité, il faut qu'une voix extérieure, celle de la communauté internationale, les rappelle à la réalité. Accorder le Prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo représenterait une opposition à l'état actuel des choses ainsi qu'un rappel à l'ordre efficace et important (quanweixing). J'estime que les idées et les actes de Liu Xiaobo sont tout à fait comparables à celles de Sa Sainteté le Dalaï Lama, de l'Archevêque Desmond Tutu, d'Aung San Suu Kyi qui tous se sont efforcés de défendre les Droits de l'homme et de favoriser la transition vers une société pacifiée par des moyens raisonnables et non violents, par la persuasion et le compromis. Face aux mouvements de résistances qui se produisent dans toutes les nationalités, tous les endroits, toutes les couches sociales de Chine nous sommes dans l'obligation d'être vigilants afin d'empêcher l'émergence de tendances violentes. Si l'on accorde le Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo, dans toute la Chine, dans le monde entier, ceux qui luttent pour le respect des droits de l'homme trouveront l'espoir et une force d'inspiration dans la résistance raisonnable et non-violente, et le monde entier, l'humanité entière, enterrant le despotisme, enterreront du même coup la violence.
Par Xu Youyu | philosophe |
Publié le
Updated on
20.01.2016