Des émeutes et un journaliste arrêté après la publication d’une représentation du prophète
Organisation :
Reporters sans frontières condamne fermement l’arrestation du journaliste Jitendra Prasad Das, correcteur (sub-editor) au sein du quotidien en langue oriya Samaj à Cuttack, dans l'État d'Odisha (Orissa) (Est), suite à la publication, le 14 janvier 2014, d’une illustration représentant le prophète Mahomet. L’organisation demande que des enquêtes soient ouvertes afin de traduire en justice les auteurs des attaques, le même jour, contre les bureaux de Samaj dans plusieurs villes de l’État.
“Nous appelons les autorités à remettre Jitendra Prasad Das en liberté dans les plus brefs délais. Elles ne doivent pas céder aux pressions de la rue. Arrêter un journaliste qui n’a commis aucun crime dans le but de calmer les esprits d’éléments fondamentalistes n’est pas justifiable. Nous regrettons que Samaj n’ait pu protéger le jeune journaliste en prenant la responsabilité de la publication. Cette attitude est révélatrice des pressions subies par le média et de l’autocensure à laquelle il se sent contraint”, a déclaré Reporters sans frontières.
L’organisation rappelle que :
- les seules restrictions à liberté de l’information tolérées au titre de l’Article 19 du Pacte international de l’ONU (relatif aux droits civils et politiques) concernent le respect des droits et de la réputation d’autrui, et la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Concernant ces dernières, des critères extrêmement précis doivent justifier d’éventuelles limitations à la liberté d’expression et d’information.
- Seuls les propos ou écrits incitant ouvertement à la haine, à la violence et à la discrimination contre une communauté ou un individu, ou portant atteinte à la vie privée des personnes peuvent faire l’objet d’entrave pénale à la liberté d’expression et d’information.
- Enfin, une stricte distinction doit être opérée entre l’atteinte aux croyances, aux idées ou aux dogmes d’une part, et l’atteinte aux personnes d’autre part, seule cette dernière pouvant être recevable.
A l’occasion de l’anniversaire du prophète Mahomet le 14 janvier 2014, le quotidien Samaj a publié au sein d’une édition spéciale une représentation de ce dernier, accompagné d’un court texte.
Des membres de la communauté musulmane se sont rassemblés devant les locaux du quotidien dans les villes de Cuttack, Balasore, Rourkela et Kendrapada, en réclamant des excuses publiques, au motif que la religion interdit formellement toute représentation de Mahomet. En dépit de la publication d’excuses dans le journal par son rédacteur en chef, Satya Ray, les manifestants ont saccagé le matériel d’impression et des ordinateurs dans les locaux du quotidien à Balasore, alors que le bureau de Rourkela a été incendié.
A Cuttack, où se trouve le bureau principal du Samaj, la police a procédé le 15 janvier 2014 à l’arrestation de Jitendra Prasad Das, supposé être à l’origine de la publication de l’article, pour “outrage aux sentiments religieux”. La police aurait confié à l’équipe éditoriale, qui souhaitait être arrêtée dans son ensemble, que cette interpellation ne visait qu’à apaiser les tensions de la rue, mais le jeune journaliste a tout de même été transféré devant un tribunal. Pour sa part, le secrétaire général du syndicat national des journalistes, Prasanna Mohanty, tout en appelant à la libération de Jitendra Prasad Das, a regretté que l’équipe éditoriale ait donné son nom, au lieu d’endosser la complète responsabilité de la publication.
L’organisation a publié en janvier dernier un rapport intitulé : “Blasphème : l’information sacrifiée sur l’autel de la religion”. Celui-ci met en lumière les dangers pour une liberté démocratique aussi fondamentale que celle d’informer représentés par la censure au nom de la religion et la prétention de rendre la religion ou les “valeurs traditionnelles” intouchables.
Le contexte de travail des professionnels de l’information est plus que délétère en Inde, qui se situe à la 140ème place sur 179 au classement mondial 2013 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Le pays fait partie des plus meurtriers pour les journalistes.
Credit photo : The Odisha bulletin
Publié le
Updated on
20.01.2016