Cyber-attaques concertées et projet de loi liberticide : le contrôle du Web se renforce ?

Alors que le dernier grand rassemblement de l’opposition, le 12 juin dernier, était marqué par une nouvelle vague de cyber-attaques contre les sites d’information indépendants, les signes de la volonté des autorités de contrôler plus étroitement Internet se multiplient. Dès le début de la manifestation, le site de la radio Echo de Moscou, du journal Novaïa Gazeta, de Dojd TV ainsi que celui de Tayga info ont été rendus inaccessibles par des attaques DDoS. Ce type d’attaques concertées en marge des rassemblements de l’opposition est devenu habituel depuis les élections législatives du 4 décembre 2011. L’Etat tente d’accroître son contrôle du Web sur le plan légal, au nom de la lutte contre l’extrémisme ou la protection des mineurs. Le 7 juin 2012 a été présenté à la commission parlementaire sur la famille, les femmes et les enfants de la Douma, un texte comprenant dans son article 4 la création d'un registre unique de domaines et de sites Internet qui contiennent des informations interdites de diffusion en Russie. Ce registre serait créé et géré par une agence fédérale nommée par le gouvernement. La proposition de loi émane de quatre députés, représentant l’intégralité des partis présents à la Douma. Les membres de la commission parlementaire se sont donnés jusqu’au 30 juin pour amender le texte avant de le transmettre à l’assemblée plénière. Selon la version actuelle du texte, les contenus interdits considérés comme particulièrement nocifs, notamment pour les enfants, comme la pornographie, la promotion du suicide, d'idées extrémistes ou de l’usage de drogue pourront être mis immédiatement sur liste “noire”. Les autres devront d’abord faire l’objet d’une décision de justice. “Si nous comprenons le but que ce projet souhaite atteindre, nous sommes en revanche très préoccupés par les moyens mis en oeuvre, notamment la possibilité de bloquer des sites Internet sans décision judiciaire, poursuit l’organisation. Nous appelons la Douma à y renoncer car il nous semble potentiellement attentatoire aux libertés des citoyens et contredit les conventions internationales ratifiées par la Russie.“ L’article 4, qui détermine sous quelle condition un site pourrait figurer sur liste noire, comporte des ambiguïtés. Les paragraphes 6 et 7 prévoient que le propriétaire du site déjà inscrit dans le registre et contenant l’information « néfaste » puisse disposer d’un délai de 48 heures pour retirer ladite information de la toile, alors que le paragraphe 8 indique que ce n’est qu’après ce délai que le site serait ajouté au registre. Cette contradiction ne permet donc pas d’identifier clairement les raisons pour lesquelles un site pourrait figurer sur le registre. Est-ce la présence d’une information « néfaste » qui serait déterminante ou bien le refus du propriétaire de retirer l’information ? Par ailleurs, ce texte est d’autant plus inquiétant qu’il permet aux hébergeurs et aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de restreindre l’accès au site en question, en cas de refus du propriétaire de retirer l’information. Ce nouveau projet de loi viendrait encore renforcer la pression que la Russie semble vouloir exercer sur les intermédiaires techniques, les incitant à bloquer l’accès à des sites Internet au contenu “néfaste”. Le 27 mars 2012, l’adjoint du procureur de Saint-Petersbourg, Igor Rezonov, avait fait part, aux principaux FAI pétersbourgeois, d’une proposition qui les autoriserait à bloquer par eux-mêmes, sur simple lettre du parquet, “des sites de casino en ligne ainsi que tous ceux appelant à l’extrémisme, à l'usage de drogues ou à la pédophilie”. Cette démarche du parquet, justifiée par la difficulté de poursuivre ces sites pénalement, dans la mesure où ils sont souvent basés à l'étranger, amenerait les FAI à jouer un rôle de policiers du Net pour lequel ils n’ont aucune légitimité. Faute de quoi ils seraient eux-mêmes poursuivis en justice. Le manque de contrôle indépendant sur ce procédé crée des risques d’abus et de censure disproportionnée. D’autant que la définition de l’”extrémisme”, une excuse parfois utilisée pour réduire au silence des critiques des autorités, reste trop vague. Le blocage du site d’information ruelect.com, dans le cadre des élections de décembre 2011, illustre parfaitement cette affirmation. “Cette proposition du procureur a soulevé un certain nombre de questions auxquelles nous n’avons pas eu de réponse malgré la lettre que nous avons envoyée le 5 avril 2012 au parquet, a déclaré Reporter sans frontières. Elles rejoignent celles que pose le nouveau projet de loi : Quels garde-fous prémuniraient les usagers contre des abus ? Quelles seraient les sanctions prévues pour les FAI qui refuseraient d’obtempérer ? Sur quels critères seraient sélectionnés les sites ? Et la mise en place d’un système de filtrage est-elle envisagée, avec les risques inhérents qu’il comporte pour la liberté d’expression en ligne ?” Toute solution de filtrage généralisée doit être rejetée. Un blocage de site Internet doit se faire de manière très encadrée et transparente, sur décision judiciaire. Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, recommande, dans son rapport de mai 2011, “des restrictions aussi limitées que possible sur la circulation de l’information via Internet, sauf dans des circonstances précises, exceptionnelles et limitées, en accord avec les standards internationaux”. Il précise que “tenir les intermédiaires pour responsables du contenu diffusé ou créé par leurs utilisateurs compromet gravement la jouissance du droit à la liberté d'opinion et d'expression, car cela conduit à une censure privée excessive et auto-protectrice, généralement sans transparence ni application conforme de la loi”. La Russie fait partie des pays sous surveillance dans le dernier rapport des Ennemis d’Internet, publié en mars 2012 par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on 20.01.2016