Censure d’un film satirique à la veille des élections nationales
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Reporters sans frontières condamne la censure qui frappe, depuis le 6 septembre 2010, le court-métrage «The Last Bearslayer» du chroniqueur et réalisateur Jānis Vingris. Sur injonction des fonctionnaires du Bureau anti-corruption (Korupcijas Novēršanas non Apkarošanas Birojs - KNAB) «The Last Bearslayer» a été retiré du service de vidéo numérique à la demande du groupe de télécommunication public SIA Lattelecom, détenu conjointement par le gouvernement letton et TeliaSonera, groupe de télécommunication public scandinave appartenant aux gouvernements suédois et finlandais.
Disponible depuis le 3 septembre sur SIA Lattelecom, «The Last Bearslayer» est un court-métrage satirique composé de héros empruntés à l’histoire et au folklore letton que Jānis Vingris a placés dans un futur utopique. Le maléfique et puissant Dr Šņukurs (Dr Museau) détient le pouvoir dans une Lettonie imaginaire qu’il conduit peu à peu à la ruine. Pour le combattre, l’ancien héros de l'épopée Bearslayer (Lāčplēsis) est invité à l’affronter sur un ring de boxe.
Alvis Vilks, chef-adjoint du KNAB, a confirmé que le court-métrage avait été interdit de diffusion : « Le film est actuellement à l'étude parce qu’il peut être considéré comme une publicité électorale. » La Lettonie organise, samedi 2 octobre 2010, des élections parlementaires et le KNAB est censé veiller à ce que les partis politiques ne puissent plus diffuser de spots de campagne au cours des derniers jours précédant le scrutin. « Chaque film au cours de la période préélectorale peut être considéré comme une prise de position politique ou une forme de lobbying politique », a déclaré Alvis Vilks à l'agence de presse nationale LETA News.
Les motifs avancés par le KNAB pour justifier de la censure du film sont proprement inacceptables et scandaleux. La loi sur l’organisation de la campagne électorale ne concerne que les partis politiques qui se présentent au scrutin. Il est inconcevable qu’un Etat membre de l’Union européenne puisse limiter de quelconque manière l’exercice légitime de la liberté d’expression à la tenue d’élections. «The Last Bearslayer» est un film satirique et ne constitue en aucune façon un spot électoral. Nous notons par ailleurs que les partis politiques disposent de toute leur liberté éditoriale au sein de leurs propres supports médiatiques dans lesquels ils font ouvertement et légitimement campagne.
Dans un entretien avec Reporters sans frontières, Jānis Vingris s’est défendu de faire de la politique. « Il n'y a aucune référence à un quelconque politicien vivant dans ce film, aucune référence à un quelconque parti politique. Chacun pourrait le constater par lui-même si nous ne faisions pas l’objet de cette mesure. Le protagoniste du mal, Dr Šņukurs, cite de temps à autres des tirades issues de discours révoltants que nous avons eus dans le passé – c’est le seul lien avec la scène politique récente. Malgré cela, mon film est censuré et je dois faire face à une enquête judiciaire. »
Les mesures prises par le KNAB sont par ailleurs totalement inefficaces compte tenu du fait que «The Last Bearslayer» peut être désormais vu sur Internet, où le film a trouvé temporairement refuge sur les serveurs d’OnlineFilm.org situés en Allemagne. Cette option ne constitue cependant pas une solution à la censure de «The Last Bearslayer» qui doit immédiatement être réintégré dans l’offre vidéo de SIA Lattelecom.
Publié le
Updated on
20.01.2016