Avec le blocage de Telegram, la Russie franchit une nouvelle ligne rouge dans la censure d’Internet

Un tribunal de Moscou a ordonné le blocage immédiat du service de messagerie Telegram, le 13 avril 2018, pour avoir refusé de livrer ses clés de chiffrement aux services secrets. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un nouveau pic dans la censure de l’Internet russe et une nouvelle entrave à l’exercice du journalisme.

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La messagerie Telegram sera très prochainement bloquée en Russie. C’est ce qu’a ordonné le tribunal Taganski de Moscou, ce 13 avril, à la suite d’une plainte déposée par le régulateur des télécommunications (Roskomnadzor). Telegram est ainsi sanctionné pour ne pas avoir livré ses clés de chiffrement aux autorités, comme le prescrit une loi antiterroriste de 2016. L’audience a duré à peine une heure et s’est déroulée en l’absence des avocats de la messagerie, qui n’ont pas voulu légitimer par leur présence une “farce évidente”. Avec plus de dix millions d’utilisateurs, Telegram est une application très populaire en Russie, notamment parmi les journalistes et les journalistes-citoyens qui comptent sur le chiffrement pour protéger leurs sources.


Avec le blocage de Telegram, les autorités russes franchissent une nouvelle ligne rouge dans leur reprise en main d’Internet, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. C’est un nouveau coup majeur porté à la liberté d’expression en Russie. Et un puissant signal d’intimidation envoyé aux géants du secteur numérique, engagés dans un bras de fer avec les autorités russes. Les autorités s’attaquent à un outil essentiel à la pratique journalistique, notamment à la confidentialité des sources et des données.”


La lutte entre la messagerie cryptée et les autorités durait depuis près d’un an. Elle a pris un nouveau tournant le 20 mars, lorsque le Roskomnadzor a saisi la justice pour obtenir le blocage de Telegram. Les autorités ont multiplié les déclarations pour préparer l’opinion à cette issue. A l’image du chef des services secrets (FSB), Alexandre Bortnikov, qui a déclaré le 4 avril que tous les actes terroristes commis ou prévenus sur le territoire russe en 2017 avaient été coordonnés via des services de messagerie.


Tout en supprimant des chaînes identifiées comme terroristes, Telegram, qui se présente comme particulièrement respectueux de la vie privée, a toujours refusé de donner au FSB l’accès aux communications de ses utilisateurs. La messagerie assure d’ailleurs ne pas avoir accès aux clés de chiffrement des conversations, qui sont générées sur les terminaux des utilisateurs. Selon ses avocats, la demande du Roskomnadzor n’a aucun fondement juridique et rentre en contradiction avec la Constitution russe. Ce refus de coopérer avait déjà valu à Telegram une amende de 800 000 roubles (environ 11 500 euros) en octobre 2017, confirmée en appel.


Les célèbres journalistes indépendants Oleg Kachine et Alexandre Pliouchtchev ont annoncé le 12 avril déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ils avaient porté plainte sans succès contre le FSB, faisant valoir que les menaces contre Telegram, entre autres, violaient le secret des sources.


Dans un rapport de 2015, le Rapporteur spécial des Nations Unies David Kaye soulignait que l’utilisation d’outils de chiffrement robustes était indispensable à l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Il demandait aux Etats de se limiter à des restrictions ciblées, spécifiques et strictement proportionnées, en évitant les interférences excessives telles que la détention des clés de chiffrement.


La Russie occupe la 148e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2017, établi par RSF.
Publié le
Updated on 17.04.2018