L’assassinat du journaliste baloutche
Zafarullah Jatak le 28 juin 2015 est le dernier d’une série macabre de meurtres contre les professionnels des médias, non résolus par les autorités pakistanaises. Journaliste depuis six ans, il travaillait pour le quotidien ourdophone
Intekhab basé à Quetta et a été abattu à son domicile de Jafarabad dans la nuit du 27 au 28 juin. La police a arrêté huit personnes en lien avec cette attaque, sans qu’aucun motif n’ait pu être établi.
L’enquête sur le meurtre de l’ancien journaliste et professeur agrégé
Syed Wahidur Rahman, abattu dans sa voiture devant l’université de Karachi le 29 avril 2015, n’a pas porté de résultat. Quelques jours plus tôt, l’activiste des médias et des droits de l’homme
Sabeen Mahmud était tuée par balles après avoir organisé une discussion sur le Baloutchistan. Son meurtre reste lui aussi impuni.
“
Les autorités pakistanaises doivent mettre fin à l’impunité des attaques contre les acteurs de l’information qui demeure trop souvent de mise, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
Nous demandons à ce que le pouvoir pakistanais procède à des enquêtes dignes de ce nom et traduise en justice les responsables des crimes contre les journalistes. L’impunité dont jouissent les auteurs d’exactions les encourage à poursuivre ces violations des droits de l’homme et de la liberté d’information.”
Les crimes contre les journalistes restent souvent irrésolus et impunis, renforçant le climat d’insécurité, ponctué de menaces de mort et d’agressions. Par ailleurs, les atteintes à l’encontre de la liberté de la presse émanant d’une partie du gouvernement en place ou des différentes factions politiques sont depuis 2014 en nette augmentation. Cette tendance inquiétante représente une entrave conséquente à la lutte contre l’impunité et entretient un climat très défavorable au développement d’une presse et de médias libres.
Face à la menace, pas d’autres issues que la fuite
Ce climat d’insécurité, en plus d’astreindre les journalistes à davantage d’autocensure, pousse parfois les journalistes à quitter leur domicile pour se réfugier en lieu sûr. Le correspondant au bureau de Peshawar de
Geo News TV Rasool Dawar, journaliste depuis neuf ans, a dû fuir la province de Khyber Pakhtunkhwa après avoir été menacé, interrogé et détenu à deux reprises par les services de renseignement militaires pakistanais. Ces derniers lui ont présenté un ultimatum : partir ou faire face aux conséquences, sans qu’aucun motif ne lui ait été communiqué. Rasool Dawar a fait part de ses inquiétudes et de sa réticence à poursuivre son travail à Peshawar à son employeur : “
Je suis encore sous le choc et ne peux pas poursuivre mon travail en poste librement”. Arrêté en février et en avril par des hommes en uniforme militaire, il a été interrogé les yeux bandés puis détenu dans le sous-sol d’une station de police dans des conditions déplorables. Suite à ces arrestations où on lui “conseillait” de quitter la ville, il s’est réfugié temporairement à Islamabad. Depuis, Rasool Dawar cherche à y être transféré de manière définitive pour sa propre sécurité. La chaîne pour laquelle il travaille,
Geo News, subit les feux continus de l’appareil militaire depuis que la chaîne a diffusé les accusations de la famille du présentateur
Hamid Mir affirmant que le chef des services de renseignement avait planifié l’attaque contre le journaliste le 19 avril 2014.
Israr Ahmed, journaliste de la province du Punjab vit lui aussi dans la peur depuis des années. “Crime reporter” au quotidien
The Nation depuis sept ans, il est harcelé à la fois par des officiers de police et des membres de gang pour avoir enquêté sur des trafics de drogue à Rawalpindi. En 2012, il avait survécu à une tentative d’assassinat. La police n’avait alors pris aucune mesure pour le protéger et aucune enquêté n’avait été menée. Il est également menacé par la police depuis qu’il a relayé les menaces dont fait l’objet un autre journaliste, Raja Arshad. En mars 2015, il a été condamné à verser 300 millions de roupies pakistanaises de “legal notice”. Le mois d’après, il a été accusé de viol et arrêté sans que la victime ne l’identifie comme son assaillant, une tentative d’intimidation largement utilisée par la police. Durant sa détention, il a été torturé. L'acharnement dont semble faire preuve la police à son encontre est une nouvelle preuve s’il en faut de la situation précaire des journalistes pakistanais qui, non seulement ne sont pas protégés par la police mais parfois sont même harcelés par ceux-là même qui devraient les défendre.
Le journaliste de
Aaj News TV originaire du Punjab
Raja Arshad est quant à lui menacé pour sa couverture des réactions ayant suivi l’attaque d’une école à Peshawar qui a fait plus de 100 morts le 16 décembre 2014. Il n’a bénéficié d’aucun soutien de la police locale après que son domicile a été visité et fouillé. “
Je vis dans la peur que l’on me fasse du mal, les journalistes étant extrêmement vulnérables au Pakistan et ne bénéficiant d’aucune protection du gouvernement ni des organes de presse”, a-t-il déclaré en avril 2015.
Pressions sur les médias
Enfin, les médias sont eux aussi une cible récurrente des attaques contre la liberté de l’information. Tributaires des décisions de gouvernements locaux ou des différentes factions politiques, les médias pakistanais subissent de nombreuses contraintes et tentatives de censure les empêchant de mener à bien leur mission d’information. Le 13 mai 2015, le
Pakistan Press Council a fait circuler une directive demandant par l’intermédiaire de la
All Pakistan Newspaper Society (APNS) à toute la presse écrite qu’un “
soin tout particulier” soit porté à ne pas faire de commentaires négatifs sur la crise au Yémen afin de ne pas heurter la relation d’amitié du Pakistan avec les pays arabes parties à la coalition, en premier lieu desquels l’Arabie saoudite. La chaîne
Geo News a quant à elle été censurée du 1er au 29 juin 2015 pour avoir montré une carte du Pakistan amputée de la région du Jammu et Cachemire au cours du programme “
Today with Shahzeb Khanzada”, suite à la décision d’un gouvernement local du Cachemire pakistanais.
Sa diffusion avait déjà été interdite en 2014 suite aux accusations de Hamid Mir envers le chef des services de renseignement pakistanais.
Face à la dégradation continue du climat dans lequel travaillent les médias, le risque d’autocensure s’accentue et menace une liberté de presse déjà chancelante. Le Pakistan, en proie à tous types d’ennemis de l’information libre et indépendante, constitue en outre l’un des Etats les plus meurtriers pour les professionnels des médias.
Le Pakistan occupe la
159e place sur 180 pays au Classement de la liberté de la presse établi en 2015 par Reporters sans frontières.