Application des nouvelles règles pour les médias étrangers : "bilan positif, mais beaucoup reste à faire"

Les nouvelles règles pour les médias étrangers ont permis aux correspondants de réaliser des reportages autrefois interdits. Mais de nombreux responsables locaux n'ont pas été informés de ces changements. Et au moins cinq journalistes étrangers ont été empêchés d'interviewer des dissidents à Pékin et à Shanghai. Reporters sans frontières en appelle au ministre Cai Wu afin de pérenniser et d'accélérer ces réformes.

Près de 50 jours après leur mise en place, les nouvelles régulations sur le travail des journalistes étrangers sont globalement respectées par les autorités chinoises. Mais le ministère chinois des Affaires étrangères n'a visiblement pas assez informé les autorités provinciales de ces changements et Reporters sans frontières a recensé au moins cinq cas de correspondants empêchés de rencontrer des dissidents. "Ces nouvelles règles constituent une évolution positive, mais beaucoup reste à faire. Nous demandons tout particulièrement à Cai Wu, responsable du bureau gouvernemental de l'Information, d'annuler l'aspect temporaire de ces changements. Il est hors de question que l'on revienne à des règles archaïques après les Jeux olympiques. Il est, par ailleurs, scandaleux que les autorités interdisent encore à la population et aux expatriés de consulter librement les sites Internet, d'écouter sans brouillage les programmes radio ou de lire les articles de ces milliers de correspondants étrangers", a affirmé l'organisation. "Le gouvernement doit poursuivre ses réformes en permettant aux médias étrangers d'employer des journalistes chinois et de se rendre sans entraves au Tibet et au Xinjiang. Il est également urgent que les médias chinois bénéficient, à leur tour, d'un assouplissement des règles imposées par le Département de la propagande. Le deux poids, deux mesures qui est en train de se mettre en place avant les Jeux olympiques n'est pas acceptable", a indiqué Reporters sans frontières. Plusieurs médias étrangers ont testé avec succès les nouvelles régulations mises en place au 1er janvier 2007. Ainsi, des reporters de l'agence Reuters se sont rendus dans des provinces, notamment en Mongolie intérieure, pour réaliser des reportages auparavant interdits. Ils ont pu rencontrer l'épouse de Hada, directeur de publication mongol emprisonné depuis 1995. Un reporter de l'agence britannique demandait en vain l'autorisation de réaliser cette interview depuis 2004. L'agence officielle Xinhua a même qualifié ce reportage d'historique, sans pour autant mentionner le nom du journaliste emprisonné. De même, Reuters a pu interviewer Bao Tong, ancien assistant du Premier ministre réformiste Zhao Ziyang. En revanche, des correspondants étrangers ont été empêchés de se rendre chez des enfants de Zhao Ziyang. Plusieurs reporters ont également rencontré à son domicile de Pékin le défenseur des droits de l'homme Hu Jia, mais les policiers ont contrôlé certains passeports. En revanche, des journalistes ont été empêchés par la police politique de rencontrer l'avocat shanghaien Zheng Enchong, l'avocat Gao Zhisheng ou la militante antisida Gao Yaojie. Un correspondant japonais a notamment été empêché par des policiers d'accéder au domicile de Gao Zhisheng, car il ne disposait pas d'une autorisation officielle. De même, des correspondants de médias de Hong Kong à Pékin ont confirmé qu'ils avaient pu, au cours des dernières semaines, interviewer des universitaires et des experts sans passer par les autorités. Cité par l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, Chan Wing-kai, correspondant du quotidien Ming Pao, a expliqué qu'avec ces nouvelles règles, il gagne parfois plusieurs semaines dans son travail. Plusieurs exemples récents ont montré que les autorités locales n'ont pas été correctement informées des nouvelles régulations. Mai Jiexi, journaliste de l'hebdomadaire britannique The Economist, a eu maille à partir avec des officiels de la province du Henan (Centre) alors qu'il effectuait un reportage sur le SIDA. Un simple appel au ministère des Affaires étrangères ("Waiban") a permis de convaincre les autorités locales de laisser le reporter travailler. Mais la police a précédé le journaliste dans certains villages pour interdire aux habitants d'être interviewés. Plusieurs journalistes étrangers minimisent l'impact de ces régulations. "La majorité d'entre nous ne demandait plus aucune autorisation préalable depuis plusieurs années. Pour interviewer les officiels, cela peut aider. Mais en province, ils ne sont toujours pas au courant des nouvelles règles", a expliqué un correspondant européen. Interviewé par un journal chinois, le reporter de CNN, Jaime Flor Cruz, a confirmé que la majorité des responsables locaux ne sont souvent pas au courant du changement entré en vigueur le 1er janvier 2007. Le gouvernement de Pékin a également garanti les mêmes droits aux journalistes de Taïwan, Hong Kong et Macao. Selon des reporters de Hong Kong interrogés par Reporters sans frontières, il s'agit d'un "changement majeur" car ils devaient auparavant demander une autorisation au Bureau de liaison chinois basé dans l'ancienne colonie britannique avant d'entamer un reportage en Chine populaire. De même, les médias taïwanais ont bénéficié de ces évolutions. La régulation précédente, datant de 1996, les obligeait à demander d'abord une autorisation auprès du Bureau des Affaires de Taïwan du gouvernement de Pékin. Ensuite, l'Association nationale des journalistes de Chine devait donner son accord. Sur le terrain, les reporters taïwanais restent tout particulièrement surveillés par le Bureau des Affaires de Taïwan et le Département de la sécurité publique. Cité par l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, un journaliste taïwanais a toutefois expliqué que les équipes de trois chaînes de télévision de Taipei avaient pu, le 9 janvier, se rendre, sans avoir à demander d'autorisation préalable, dans la province du Yunnan (Sud) où un criminel taïwanais venait d'être arrêté. En revanche, plusieurs reporters de Hong Kong ont été refoulés par des soldats, le 9 janvier, alors qu'ils s'approchaient du lieu du crash d'un avion militaire dans la province du Guangdong (Sud-Est). Selon les déclarations du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, la nouvelle réglementation s'applique également au Tibet et au Xinjiang. Pour l'instant, aucun refus ou incident n'a été signalé, sachant qu'il faut de toute manière une autorisation spéciale pour les étrangers afin de se rendre dans ces deux régions. Un journaliste européen contacté par Reporters sans frontières a expliqué qu'il fallait encore de longues négociations pour obtenir un laissez-passer. Plusieurs journalistes ont exprimé leur crainte que les autorités accentuent la pression sur les Chinois qu'ils veulent interviewer. En effet, l'article 6 de la nouvelle régulation impose que le reporter ait obtenu le consentement de la personne à interviewer. En revanche, la sécurité publique n'a pas relâché son contrôle sur les journalistes et écrivains dissidents chinois. Début février, une vingtaine d'entre eux ont été empêchés de se rendre à Hong Kong pour participer à une conférence de l'organisation PEN International. Ainsi, les écrivains Zan Aizong et Zhao Dagong se sont vu refuser le passage de la "frontière". Et les autorités refusent toujours aux journalistes chinois qui collaborent à certains médias chinois basés à l'étranger des accréditations et le droit de travailler librement. Ainsi, des collaborateurs du site Boxun se sont vu répondre par les autorités que ces régulations concernaient uniquement les journalistes étrangers employés par des médias étrangers.
Publié le
Updated on 20.01.2016