Analyse : comment le gouvernement pakistanais veut verrouiller Internet
Les autorités pakistanaises ont récemment rendu public un nouveau décret censé réguler les contenus en ligne. Reporters sans frontières (RSF) livre une analyse de ce texte rédigé sans la moindre consultation et qui multiplie les dispositions iniques et les tentatives de censure du web.
Un premier projet, très controversé, avait dû être abandonné en début d’année face au tollé provoqué chez les acteurs de la société civile, dont RSF. Le mois dernier, le ministère pakistanais de l’Information est revenu à la charge avec un nouveau décret censé régir “le retrait et le blocage des contenus illégaux en ligne”.
Ce texte, dont la vocation initiale était d’établir un cadre juridique à l’article 37 de la loi pour la prévention des crimes électroniques de 2016, dépasse de très loin cet objectif. Ses dispositions accordent des moyens disproportionnés et discrétionnaires à l’Autorité pakistanaise des télécommunications (Pakistan Telecommunication Authority, PTA), le régulateur des contenus en ligne, dépendant directement du gouvernement. Face au manque total de consultation, plusieurs acteurs du secteur ont fait savoir qu’ils contesteraient ces dispositions devant un tribunal.
“Nous appelons le gouvernement pakistanais à revenir sur ce décret inique qui, en l’état, institutionnalise une censure parfaitement arbitraire des contenus en ligne par le pouvoir exécutif, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Avec ce texte, les citoyens pakistanais seront privés d’une information fiable et indépendante sur Internet, qui est devenu l’un des derniers rares espaces où cela est encore possible. En cela, il est tout simplement anticonstitutionnel.”
Notions totalement floues
Selon le décret, au prétexte de la sécurité nationale, tout contenu qui “suscite ou vise à susciter le mécontentement à l’égard du gouvernement fédéral ou des gouvernements locaux” ou qui “entache la réputation de toute personne exerçant des charges publiques” pourra être retiré et bloqué. De fait, tout propos jugé critique d’un journaliste à l’égard d’un élu ou d’un fonctionnaire sera immédiatement censuré.
Tout aussi préoccupant, cette censure s’exercera également sur tous les contenus considérés comme indécents, immoraux ou portant atteinte à la “gloire de l’Islam” - sans qu’aucune définition précise ne soit donnée à ces notions pour le moins floue. Ainsi, il est laissé à la PTA un pouvoir d’interprétation - et donc d'arbitraire - quasiment infini.
Le décret arroge également à la PTA le droit d’être juge et partie : il est prévu qu’elle juge d’elle-même, sans passer par un tribunal, quel contenu entre en violation avec le code pénal. Pire, c’est elle aussi qui contrôle et réexamine les cas contestés et les éventuelles procédures d’appel.
Grande opacité
Autre élément inquiétant, toutes ces procédures sont prévues d’être activées dans la plus grande opacité. La nature des contenus bloqués, ainsi que l’identité des individus dénonçant un contenu “interdit”, seraient maintenus confidentiels. Un manque de transparence qui empêcherait les citoyens de connaître l’ampleur de la censure et l’identité de leurs censeurs.
Enfin, ce décret ordonne aux réseaux sociaux et aux fournisseurs d’accès à Internet d’imposer eux-mêmes une censure à leur utilisateurs. Ils ont ainsi 24 heures - voire six heures en cas de procédure d’urgence - pour supprimer une information jugée litigieuse par la PTA. En cas de non-respect de ses directives, le régulateur peut imposer un blocage complet du réseau social ou du site concerné.
Les plateformes auront par ailleurs l’obligation légale de fournir les données de leurs utilisateurs, y compris celles issues de communication privée et cryptée. De plus, les plateformes ayant plus de 500 000 utilisateurs devront installer un siège et des serveurs au Pakistan et s’enregistrer auprès des autorités.
Ce modèle de censure et de contrôle absolu de l’information s’inspire directement de celui du voisin chinois, qui se situe à la 177e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF. Le Pakistan, en chute libre depuis deux ans, se classe 145e.