Adoption de la loi organique de communication : de bons principes et des clauses problématiques
La loi organique de communication entre dans sa phase d’adoption définitive, ce 14 juin 2013, à l’Assemblée nationale, après plusieurs années de controverses et de reports. Organisation internationale de défense de la liberté de l’information, Reporters sans frontières avait apporté sa contribution au débat dès l’examen parlementaire de la toute première version du texte, en 2010. L’organisation renouvelle ses remarques au moment de ce vote plénière.
Reporters sans frontières n’a jamais mis en cause le principe d’une nouvelle loi, en phase avec les évolutions du paysage médiatique national, lesquelles s’appliquent d’ailleurs à d’autres pays de la région. La loi organique présente néanmoins le désavantage de vouloir à la fois apporter un nouveau cadre technique de régulation des médias (hors Internet, à l’exception des plates-formes web des médias traditionnels) et influer sur la définition du métier d’informer et ses conditions d’exercice. Le texte aurait gagné en force et le débat en lisibilité au prix d’un choix clair entre ces deux objectifs, selon nous au seul profit du premier.
Les deux objectifs étant finalement retenus dans une même loi, nous déplorons l’absence totale de dispositions dépénalisant les délits de “diffamation” et d’“injure”, contre une tendance généralement observée sur le continent. Nous espérons que ce dessein aboutira à la faveur d’une réforme, à court terme, du code pénal. En revanche, nous considérons comme conformes aux standards juridiques internationaux les restrictions horaires de diffusion imposées par la loi au nom de la protection des mineurs, ainsi que les interdictions frappant des contenus racistes, discriminatoires ou appelant délibérément à la violence. Enfin, les clauses relatives aux quotas de production audiovisuelle nationale répondent globalement à des critères en vigueur dans la plupart des autres pays.
Principes majeurs
La loi organique de communication affirme trois principes majeurs que nous approuvons en tant que tels :
-le premier (art. 18) interdit toute forme de censure a priori émanant d’autorités ou de fonctionnaires publics ;
-le deuxième relève des articles 37, 38 et 39, garantissant respectivement le respect de la clause de conscience dont peuvent se prévaloir les journalistes, la protection de leurs sources, et enfin le droit au secret professionnel qui leur est reconnu ;
-le troisième (art. 112) pose le principe d’équité dans l’occupation des fréquences entre les trois types de médias, publics, privés et communautaires, à hauteur de 34 % chacun pour ces derniers et de 33 % chacun pour les deux premiers. Ce cadre de répartition constitue en soi un levier important en faveur du pluralisme.
Clauses bancales ou dangereuses
Ces objectifs, louables en soi, seront-ils tenus ? Certaines clauses de la loi font malheureusement craindre des entorses aux droits fondamentaux qu’elle est censée garantir.
Au plan de la liberté de l’information, nous estimons dommageable un article disposant que “toutes les personnes ont droit à ce que l’information d’intérêt public reçue à travers les médias soit vérifiée, contrastée, contextualisée et opportune” (art. 23). Quels seront les critères permettant de juger de la valeur d’une information ? A quelle autorité échoira cette compétence ? Celle-ci ne figure certes pas dans les attributions (art. 46) du nouveau Conseil de régulation et de développement de la communication qu’institue la loi. D’aucuns critiquent le profil de ses cinq membres, jugés trop inféodés au pouvoir exécutif.
Pour autant, le même Conseil a le pouvoir d’imposer des excuses publiques, ou, en cas de récidive, des pénalités financières, à tout média qui n’accèderait pas au droit de rectification (art. 24) ou de réplique (art. 25) exigé par un tiers. Les excuses publiques ne se confondent pas avec la rectification d’un fait imputé. Là encore, le sentiment d’atteinte à l’honneur ou à la réputation suscité par la publication ou la diffusion de certaines informations deviendrait-il le critère de “véracité” de celles-ci ? Le Conseil s’en ferait-il juge en parallèle de la justice ordinaire ? La future loi ne répond pas à ces questions clés.
La loi a, en revanche, maintenu à travers les cadenas - messages à caractère officiel dont la retransmission est obligatoire sur les chaînes et radios hertziennes – un redoutable outil d’offensive ou de réplique gouvernementale sans contrepartie. Si elle limite à cinq minutes hebdomadaires non cumulables ce type de message pour tous les titulaires d’une charge publique, elle fait en revanche exception pour le président de la République et celui de l’Assemblée nationale qui peuvent en user “quand ils le considèrent nécessaire” (art. 77-1). Le fort climat de polarisation opposant le président Rafael Correa à certains secteurs de la presse privée, dont Reporters sans frontières ne méconnaît pas les excès, ne se résoudra pas à l’appui de cette clause.
De la même manière, Reporters sans frontières estime hautement dangereuse la proposition d’ajout à la loi par la parlementaire Maria Augusta Calle du concept de lynchage médiatique comme “volonté systématique, concertée à travers plusieurs médias ou d’un seul pour détruire l’honneur ou le prestige d’une personne”. Un tel ajout poserait de graves obstacles à toute révélation d’informations sensibles. Il s’agit d’une prime à l’accusation de “déstabilisation” que le gouvernement a trop souvent brandie contre ses contradicteurs.
Régulation délicate
La démocratisation de l’espace audiovisuel demeure un enjeu crucial posé par la loi. Les fréquences disponibles ou bientôt créées devront dégager assez d’espace pour permettre d’appliquer la règle de leur partage en trois tiers. L’interdiction d’adjudication à la même personne – morale ou physique – de plus d’une concession de fréquence en radio AM, de plus d’une concession de fréquence radio FM et de plus d’une concession de fréquence en télévision à la fois (art. 121) pourrait offrir des garanties. Cette déconcentration au nom du pluralisme, impliquant de rendre des fréquences, devra mobiliser à son tour le secteur public, qui totalise à lui seul une vingtaine de médias. L’enjeu dépend, enfin, de l’étendue des prérogatives d’une future Superintendance de communication, laquelle doit rester une instance de régulation et non un instrument de contrôle des contenus.