La campagne de pressions contre les médias doit enfin cesser


A l’occasion de la publication des résultats du monitoring de la liberté de la presse en 2010 par la Tajik National Association of Independent Mass Media (NANSMIT), Reporters sans frontières revient sur la situation des médias au Tadjikistan. Depuis plus de six mois, médias et journalistes indépendants sont soumis à des pressions continues. Dix d’entre eux sont poursuivis par la justice. Dans le cadre de son monitoring, NANSMIT a recensé 58 cas de violations des droits de la presse et 52 cas portant sur des conflits et des accusations contre des journalistes ou des médias. NANSMIT rappelle que le dernier trimestre de 2010 a été marqué par une grave détérioration de la situation des médias et de l’accès à l’information. En septembre 2010, le gouvernement a lancé une grande campagne de répression contre les médias indépendants suite à leur couverture d’un attentat perpétré contre un convoi de militaires dans la vallée du Rasht (Est) : de nombreux sites d’information ont été bloqués et les hebdomadaires indépendants Faraj, Negah et Païkhon ont été empêchés d’imprimer. La tentative de contrôle des médias par les autorités passe désormais par des procédés multiples : pression informelle et économique, multiplication des poursuites pour diffamation, arrestation arbitraire. Suite à un article paru dans le numéro de Païkhon du 1er février 2011, le directeur de rédaction a été convoqué par le procureur général. Celui-ci a demandé à connaître les source de l’auteur. Face au refus du directeur, le procureur a exigé que la rédaction lui soumette chaque article avant publication. Le 8 février 2011, l’hebdomadaire Millat a été condamné à une amende de 1 500 somoni (TJS, soit 250 euros) pour avoir “diffamé” le ministre de l’Agriculture, qui avait porté plainte après la parution d’un article dans lequel l’Agence nationale anticorruption et certains parlementaires, le désignait comme l’“entité la plus corrompue du Tadjikistan”. Le journal Asia plus est aussi poursuivi pour diffamation par le chef de la Direction de la répression des organisations criminelles (UBOP). L’audience qui devait se tenir le 24 février 2011 a été reporté au 10 mars pour examen plus approfondi des documents d’enquête. Par ailleurs, l’interdiction de la vente de journaux dans la rue et l’augmentation des taxes sur les revenus depuis le mois de janvier 2011 mettent en péril l’équilibre financier des hebdomadaires indépendants. L’impossibilité d’éditer leurs numéros au mois de septembre leur avait déjà coûté très cher et les avaient exposés à des risques de faillite. Enfin, autre fait symptomatique de la dérive répressive des autorités, l’arrestation, le 23 novembre 2010, du correspondant de Nuri Zindagi et d’Istikol dans la région de Sughd, Makhmadyusuf Ismoïlov. Il a été inculpé pour diffamation, offense à un fonctionnaire, incitation à la haine religieuse et raciale, et chantage après la parution de son article “Suicide à Ash” dénonçant les dysfonctionnements et la corruption du bureau du procureur régional. Les autorités judiciaires le maintiennent en détention préventive jusqu’à qu’il soit jugé. La date de son procès n’est pas encore connue à ce jour. Le 18 février 2011, lors d’une rencontre avec son avocate, il a confessé avoir signé, sous la pression, une déclaration où il consentait à se soumettre à un procès sans être défendu par un avocat. Selon NANSMIT, la détention d’un journaliste en raison de ses activités professionnelles constitue un précédent très inquiétant dans l’histoire du journalisme tadjik. Il pose de nombreuses questions sur les intentions gouvernementales vis-à-vis des médias indépendants. Reporters sans frontières s’alarme du durcissement, depuis plus de six mois, des autorités envers la presse critique. La multiplication des tentatives de répression et de contrôle, en plus de constituer de graves violations des droits des médias, met sérieusement en péril le pluralisme de la presse au Tadjikistan. Les pressions économiques, politiques et judiciaires qu’ils subissent pourraient provoquer leur faillite. Reporters sans frontières appelle le gouvernement à cesser ces atteintes à la liberté de la presse. La libération de Makhmadyusuf Ismoïlov, détenu pour son activité journalistique, serait la preuve de la volonté des autorités à agir dans ce sens.
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Updated on 20.01.2016