Acquis au président Duterte, le parlement philippin enterre le groupe audiovisuel ABS-CBN
Une commission de la Chambre des représentants a rejeté la demande d’émission d’une nouvelle licence de diffusion pour le principal diffuseur de radio et de télévision de l’archipel. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un vote qui restera dans l’histoire comme une violation édifiante de la constitution philippine, et appelle à riposter en rejoignant la coalition #HoldTheLine.
Les écrans de télévision vont rester noirs, et les radios muettes. La commission du Congrès philippin en charge des licences de diffusion a planté les derniers clous, ce matin, vendredi 10 juillet, dans le cercueil du principal groupe audiovisuel de l’archipel, ABS-CBN.
Par une majorité écrasante de 70 voix contre 11, les parlementaires ont définitivement rejeté la demande d’émission d’une nouvelle licence après leur refus, en mai dernier, de renouveler l'ancienne licence, valable 25 ans.
Entre-temps, les représentants d’ABS-CBN avaient plaidé leur cause auprès des membres du Congrès au cours de treize audiences, ce qui représente une centaine d’heures d’argumentaire. Face à eux, les membres de la commission, largement acquis au président Rodrigo Duterte, ont accusé la direction du groupe, entre autres, d’évasion fiscale et d’atteinte à la loi sur les investissements étrangers dans les médias.
Parlement-croupion
Ils ont surtout laissé entendre qu’ils conditionneraient l’attribution d’une nouvelle licence aux chaînes d’ABS-CBN à un changement de leur ligne éditoriale, et à une couverture favorable de la politique nationale-populiste de l’administration Duterte. Ce que le groupe audiovisuel a refusé.
Les demandes d’émission d’une nouvelle licence par ABS-CBN ont peu de chances d’aboutir avant 2022, tant que siégera l’actuelle chambre législative, dont une vaste majorité se comporte comme un parlement-croupion suivant aveuglément l'exécutif.
“Les parlementaires qui ont refusé cette demande de licence resteront dans l’histoire comme ceux qui ont préféré suivre les intérêts particuliers de la caste au pouvoir au lieu de défendre l’esprit de la Constitution de 1987, regrette Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF.
“Ce vote retentit comme un coup de tonnerre dans le ciel déjà extrêmement troublé du paysage journalistique philippin. Signe du harcèlement dont est l’objet la presse indépendante, il est édifiant de noter que les arguments fallacieux avancés par les parlementaires hostiles à ABS-CBN sont, pour beaucoup, absolument identiques à ceux utilisés par les agences gouvernementales contre le site d’information Rappler.”
Assauts pathétiques
Rappler et sa présidente Maria Ressa sont en effet également poursuivis, pour évasion fiscale et au motif de la loi sur les investissements étrangers - quand bien même une rapide analyse de chaque dossier démontre le manque absolu de consistance juridique des charges portées. A cela, il faut ajouter une accusation de diffamation en ligne tout à fait kafkaïenne, qui a valu à la journaliste et à son ex-confrère Reynaldo Santos Jr une condamnation, le mois dernier, à une peine pouvant aller jusqu’à 6 ans de prison.
Pour répondre à ces assauts répétés contre le quatrième pouvoir, en provenance du clan du président Duterte, qui a réussi à corrompre et soumettre les pouvoirs législatif et judiciaire, RSF a lancé hier, jeudi 9 juillet, la campagne internationale “HoldTheLine”, pour venir en aide aux journalistes qui tentent de “tenir tête” à ces attaques pathétiques du gouvernement philippin contre la presse libre.
Une pétition est en ligne pour exiger l’abandon des charges fallacieuses qui pèsent sur Maria Ressa, Rappler et ses journalistes.
En recul de deux places par rapport à 2019, les Philippines se situent à la 136e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.