YouTube cède aux pressions des autorités turques
Organisation :
YouTube a finalement retiré les vidéos sur la vie privée de Deniz Baykal, ancien chef du parti republicain CHP (Parti républicain du peuple), afin d’éviter l’application de la décision de justice du tribunal d’Ankara, du 2 novembre 2010, qui prévoyait le blocage du site si ces vidéos n’étaient pas supprimées. La plainte de Deniz Baykal, qui avait été contraint de démissionner suite à la diffusion sur Internet d’une vidéo montrant un individu lui ressemblant engagé dans une relation extraconjugale, s’est donc soldée par une victoire de la censure. YouTube avait pourtant affirmé que « la loi turque ne s’applique pas aux utilisateurs du monde ». Reporters sans frontières dénonce un précédent dangereux pour la libre circulation de l’information en Turquie. L’organisation demande à YouTube de fournir des explications sur cette décision.
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Le déblocage de YouTube doit perdurer
03.11.2010
Reporters sans frontières demande aux autorités turques de maintenir l'accès à YouTube, alors que l'interdiction pesant sur le site a été levée par une décision d'un tribunal d'Ankara le 30 octobre 2010, mais qu'une nouvelle décision judiciaire pourrait remettre en cause ce retour à la normale. Le site de partage vidéos, alors l’un des cinq plus fréquentés dans le pays, avait été interdit en mai 2008 par un tribunal d'Ankara pour diffusion de vidéos "offensantes" à l'égard d'Atatürk, fondateur de la République turque.
Le récent déblocage du site a été accueilli par la population turque et la communauté internationale comme une bonne nouvelle, un premier pas encourageant. Rendre à nouveau YouTube inaccessible montrerait que la justice turque n’a rien perdu de ses réflexes primaires de censure, réflexes d’autant plus obsolètes et ridicules que de nombreux internautes turcs parviennent, en réalité, à accéder au site en utilisant des serveurs proxy. Nous appelons désormais les autorités à choisir la voie de la garantie de la liberté d'expression en ligne et de procéder, dans cet esprit, à réformer la loi sur Internet, afin d'empêcher de nouveaux blocages arbitraires, et à mettre fin à la censure qui touche aujourd'hui plus de 5 000 sites.
La représentante de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, Dunja Mijatovic, avait accueilli favorablement la nouvelle de la levée de l’interdiction. Le président Abdullah Gül avait lui même dénoncé ce blocage sur Twitter, affirmant qu'il représentait un frein à l'intégration de la Turquie dans le reste du monde.
En 2008, Youtube avait refusé d'enlever les vidéos incriminées, affirmant que la loi turque ne s'appliquait pas aux utilisateurs du monde, ce qui avait incité les autorités à bloquer l’accès au site. Youtube était à nouveau accessible à la fin du mois d’octobre dernier, suite à la suppression des vidéos en question par une petite entreprise turque basée en Allemagne, International Licensing Services, qui aurait utilisé le mécanisme automatique de Youtube concernant les plaintes sur les droits d'auteur. Selon l’un des représentants de Google, propriétaire du site, les vidéos ont été remises en ligne, l’entreprise considérant qu’elles ne portent pas atteinte au droit d’auteur. Elles seraient toujours inaccessibles en Turquie, mais visibles dans le reste du monde.
Une nouvelle affaire vient compliquer les choses. Un tribunal d'Ankara a ordonné à nouveau, le 2 novembre 2010, l'interdiction de YouTube, suite à une plainte déposée par l'ancien chef du parti d'opposition CHP (Parti républicain du peuple), Deniz Baykal, contraint de démissionner suite à la diffusion sur Internet d'une vidéo montrant un individu lui ressemblant, engagé dans une relation extra-conjugale. L'organe de régulation d'Internet, la Haute Instance des Télécommunications, a été saisi par le tribunal, qui a indiqué qu'il demanderait aux administrateurs du site de supprimer les vidéos compromettantes, sans quoi le site serait rendu inaccessible.
La controverse autour de Youtube ne doit pas faire oublier l'étendue du blocage et de la censure en ligne dans le pays, ainsi que les arrestations et poursuites contre des blogueurs et net-citoyens.
Plus de 5 000 sites sont actuellement bloqués, notamment pour atteinte à la mémoire d'Atatürk, qui reste, avec l’armée, la question des minorités (kurde, arménienne) et la dignité de la nation, l'un des sujets tabous en Turquie.
La législation sur Internet reste particulièrement sévère. La loi 5651, relative à la "Prévention des crimes commis dans le domaine de l’informatique", adoptée le 4 mai 2007 par le Parlement, donne notamment la possibilité à un procureur d’interdire l’accès à tout site dans un délai de 24 heures, si une partie de son contenu est jugée “susceptible d’inciter au suicide, à la pédophilie, à l’usage de stupéfiant, à l’obscénité, à la prostitution” ou de “contredire la loi d’Atatürk”. La loi 5816 condamne également les "délits contre Atatürk". Les procédures utilisées par l'autorité administrative compétentes demeurent opaques, d'autant que près de 200 décisions de justice répertoriées en 2009 et ordonnant le blocage de sites se situent hors du champ d’application de la loi 5651.
En mars 2010, trois journalistes en ligne de la province d’Adiyaman (sud-est du pays), Haci Bogatekin, Özgür Bogatekin et Cumali Badur ont été condamnés à des peines de prison. Les trois hommes ont fait appel de ces condamnations et sont actuellement en liberté (voir l'article). Baris Yarkadas, journaliste en ligne du journal Gercek Gündem (Agenda Réel), doit quant à lui à nouveau comparaître prochainement, accusé d’"offense à la personne" par Nur Birgen, présidente de la section d’expertise de la médecine légale. Le journaliste avait évoqué dans un article les violations des droits de l’homme que cette dernière aurait commises, des accusations relayées par plusieurs ONG.
Reporters sans frontières rappelle que la Turquie figure pour la première fois dans la liste des "pays sous surveillance" dans le dernier rapport sur la liberté sur Internet, "Les Ennemis d'Internet", publié en mars 2010 par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on
20.01.2016