« Vouloir réguler Internet ne doit pas s’imposer au détriment de la liberté d’expression »
Organisation :
Mercredi 15 juin, Reporters sans frontières a adressé une lettre ouverte aux chefs de gouvernement de la Communauté des Etats indépendants qui regroupe la Russie, l’Ukraine, le Bélarus, la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Khirghizistan et le Tadjikistan. L’organisation y fait part de ses inquiétudes après l’adoption, le 16 mai 2011, d’une loi-cadre sur la régulation d’Internet. Bien que non contraignant, ce texte se présente comme un modèle pour harmoniser les législations de la zone, alors qu’il contient plusieurs mesures liberticides.
Lettre ouverte aux chefs de gouvernement de Russie, d’Ukraine, du Bélarus, de Moldavie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan et du Tadjikistan.
« Monsieur,
L’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières souhaite attirer votre attention sur la loi-cadre n°36-9 “Sur les fondements de la régulation d’Internet”, adoptée par l’Assemblée interparlementaire de la Communauté des Etats Indépendants le 16 mai 2011, en présence d’une délégation de votre pays.
Même s’il n’a pas d’effet contraignant, ce texte de treize articles se veut une référence pour la législation des pays membres de la CEI. Or, la mise en oeuvre de certains articles de ce texte entrerait dangereusement en contradiction avec les principes de liberté d’expression et de neutralité du Net, en incitant les Etats membres à un contrôle excessif sur cet espace privilégié d’échange d’information.
L’article 9, consacré à la “coopération internationale dans le domaine de la régulation d’Internet”, promeut un interventionnisme étatique dangereux, au détriment de l’autorégulation du Net. Il stipule en effet que le contrôle de l’Etat sur le contenu et les utilisateurs du réseau doit être renforcé par la création de divers organes spécialisés.
L’alinéa 2 fait référence à une instance mandatée par le pouvoir pour “défendre les intérêts de l’Etat sur Internet”. L’alinéa 3 mentionne un organisme chargé de l’enregistrement des adresses IP des domaines nationaux. Il aurait le pouvoir d’annuler des noms de domaine de deuxième niveau, et donc de fermer des plate-formes telles que LiveJournal, en cas d’infraction à la loi du pays ou même “d’atteinte à l’ordre public d’autres pays”. La mise en pratique de cette disposition contribuerait à diviser Internet en segments nationaux, en violation directe du principe de neutralité du Net interdisant toute discrimination dans l’accès au réseau.
L’article 13 soulève également beaucoup d’inquiétude, car il introduit l’obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet de conserver les données des utilisateurs pour une durée minimale d’un an, afin qu’elles soient disponibles pour les organes de la justice et du maintien de l’ordre. Il est nécessaire de définir précisément le cadre de cette mesure, notamment la nature des données conservées, afin d’assurer aux utilisateurs que leurs données personnelles ne soient pas utilisées abusivement par les autorités et de réduire la durée excessivement longue de conservation de ces données. Internet ne saurait être utilisé comme un espace de surveillance et de contrôle des citoyens qui ont droit au respect de leur vie privée.
Nous appelons votre gouvernement à prendre acte de ces différents aspects. Vouloir réguler Internet ne doit pas s’imposer au détriment de la liberté d’expression consacrée par les conventions internationales ratifiées par votre pays. Dans leur déclaration conjointe du 1er juin 2011, les Nations-Unies et l’OSCE ont rappelé que “les restrictions à la liberté d’expression sur Internet ne sont acceptables que si elles correspondent aux normes internationales établies”. Cette déclaration vous engage, et elle contient un certain nombre de lignes directrices bien plus à même d’inspirer les législateurs de votre pays, que la loi-cadre n°36-9. Elle rappelle que la liberté d’expression s’applique aussi sur le Web et souligne l’obligation des Etats à promouvoir l’accès universel à Internet. Nous vous incitons à inscrire dans votre Constitution l’accès à Internet comme droit fondamental.
En vous remerciant par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à ce courrier, je vous prie d’agréer l’expression de ma très haute considération. »
Jean-François Julliard
Secrétaire général de Reporters sans frontières
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Publié le
Updated on
20.01.2016