La liberté de la presse menacée dans l’UE par ses États membres : la Commission européenne doit en finir avec la politique de l’autruche

Reporters sans frontières (RSF), contribuant au rapport sur l’état de droit de la Commission européenne, déplore l’inertie persistante de celle-ci face aux atteintes à la liberté de la presse par les États membres. RSF exhorte la Commission à assumer pleinement ses responsabilités et à mobiliser tous les moyens à sa disposition pour enrayer la dégradation de la liberté de la presse en Europe.

Dans sa contribution au rapport sur l’état de droit, soumise pour la cinquième année consécutive à la Commission européenne, le constat de RSF est clair : les recommandations de la Commission sont systématiquement ignorées par les États membres, sans qu’il en résulte de conséquences. Cette analyse se base sur un échantillon de huit pays européens représentatifs de la diversité du continent – plus au moins bien positionnés dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF – auquel s’ajoute un pays candidat à l’adhésion, la Serbie.

“Les contributions de RSF pour le rapport sur l’état de droit de la Commission européenne dressent un constat accablant de l’inertie de la Commission face aux violations de la liberté de la presse dans les États membres et les pays candidats. Elle doit en finir avec la politique de l’autruche et s’emparer de tous les outils juridiques à sa disposition, dont l’EMFA, et lancer des procédures d'infraction contre les États qui ne respectent pas les règles européennes. Une réforme de la conditionnalité des fonds européens destinés aux États doit également être envisagée afin d’y intégrer la liberté de la presse et la rendre pleinement efficace. La Commission est en mesure d’agir. Il est temps qu’elle fasse preuve de courage politique !

Julie Majerczak
Responsable du bureau de Bruxelles de RSF

La législation nationale bafouée

Le non-respect des recommandations de la Commission européenne révèle un premier problème fondamental : les États membres ne respectent pas leur propre droit. En Grèce (88e au Classement RSF) comme en Roumanie (49e) et en Slovaquie (29e), l’indépendance du service public est inscrite dans la législation, mais leurs services publics ont, dans les faits, une direction politisée et opaque qui menace leur indépendance éditoriale. Le problème en Hongrie se caractérise, lui, par l’existence de structures démocratiques dévoyées : la liberté de la presse est consacrée, mais le pluralisme est quasi-inexistant du fait des pressions du régime de Viktor Orban pour maintenir son contrôle quasi-total sur le paysage médiatique du pays. Quant à la Bulgarie (59e), c’est la volonté politique qui manque pour faire respecter les garanties légales d’indépendance éditoriale de la télévision publique.

 

L’efficacité restreinte des autorités de régulation

Le second problème concerne les autorités de régulation, dont l’indépendance et l’effectivité sont essentielles au pluralisme médiatique tel que consacré par le règlement sur la liberté des médias (EMFA). Beaucoup d’entre elles manquent d’efficacité ou cèdent aux pressions politiques. En France (21e), l’Arcom est indépendante mais manque d’initiative dans ses prérogatives. En Slovaquie, l’existence du régulateur indépendant est menacée par le président Fico et son gouvernement. En Serbie (98e), candidate à l’adhésion depuis 2012, l’autorité de régulation, en théorie respectueuse de l’exigence d’indépendance en droit européen, est manipulée par le pouvoir politique et incapable d’endiguer la propagande russe et celle du régime serbe. Formellement indépendant du pouvoir politique sur le papier, le conseil des médias hongrois subit le même détournement au profit du régime de Viktor Orban. La Pologne (47e) quant à elle, fait face à une autorité de régulation instrumentalisée au profit du parti d’extrême droite Droit et justice (PiS) qui, malgré sa défaite électorale en 2023, garde la mainmise sur une partie du paysage médiatique. 

L’Union européenne est pourtant armée pour faire face à ces menaces : tout d'abord, par le biais d'une réforme de la conditionnalité des fonds européens, puis avec l’EMFA, pour lequel les recommandations de RSF avaient été prises en compte – c’est maintenant à la Commission d’en prouver l’efficacité. 

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