Une nouvelle loi renforce la mise au pas d’Internet en Turquie
Le Parlement turc a adopté, le 21 mars 2018, une loi plaçant les services de vidéos en ligne sous la tutelle du régulateur de l’audiovisuel. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la volonté d’Ankara de combler les dernières brèches dans son contrôle de l’information.
Après avoir mis au pas les médias traditionnels, les autorités turques parachèvent leur dispositif de censure d’Internet. Une loi votée le 21 mars place les services de vidéos en ligne sous le contrôle du Haut Conseil de l’audiovisuel (RTÜK). Pour pouvoir poursuivre leurs activités une fois qu’elle sera entrée en vigueur, ces plateformes devront obtenir une licence qui ne sera délivrée qu’après une enquête pouvant impliquer la police et les services secrets (MIT). Le RTÜK sera ensuite chargé de surveiller les contenus et de prononcer des sanctions en cas “d’irrégularité”. Il pourra aussi saisir le juge des référés pour faire bloquer en 24 heures les sites qui continueraient à émettre sans licence. La loi doit encore être promulguée par le président Erdoğan, ce qui devrait être une formalité.
Outre les services de vidéos à la demande comme Netflix, cette nouvelle loi devrait affecter des sites d’information alternatifs tels que MedyascopeTV (lauréat du Prix RSF 2017), Evrensel WebTV et Arti TV, ou encore des plateformes comme YouTube, Periscope et Facebook, dont se servent de nombreux médias censurés pour diffuser leurs contenus. Les ressources basées à l’étranger ou n’émettant pas en turc sont tout autant concernées. Même si les individus qui diffusent des vidéos en ligne ne devraient finalement pas être affectés, les contours de la loi restent flous. Un décret d’application doit les préciser d’ici six mois.
“Cette réforme antidémocratique, passée au pas de charge sans consulter la société civile, ne fait que renforcer la mainmise du gouvernement sur Internet, dénonce le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoğlu. A l’approche des élections générales de 2019, le pouvoir comble ainsi l’une des dernières brèches dans son contrôle de l’information.”
Ces dernières années, la politisation du RTÜK, dont les membres sont désignés par le Parlement, n’a fait que s’accentuer. Le régulateur est aujourd’hui largement dominé par le parti au pouvoir AKP et son allié nationaliste, le MHP. Le parti d’opposition CHP reste seul à tenter d’y faire valoir le pluralisme depuis l’éviction du contingent du parti pro-kurde HDP, à l’été 2017.
Internet était déjà hautement censuré en Turquie. Des amendements votés ces dernières années ont généralisé le blocage administratif pour des motifs de plus en plus larges. Outre les principaux sites d’information critiques, les autorités n’ont pas hésité à bloquer Twitter et YouTube à plusieurs reprises, et Wikipédia est toujours indisponible. Année après année, la Turquie reste le pays qui demande le plus de retraits de contenus à Twitter. Les outils de contournement de la censure (VPN, réseau Tor…) sont eux aussi attaqués. Et on ne compte plus les internautes jetés en prison pour leurs partages sur les réseaux sociaux.
Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés. La Turquie occupe la 155e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF.