Reporters sans frontières s'élève contre la campagne de calomnies menée par le gouvernement contre deux journalistes et dirigeants associatifs, Carlos Fernando Chamorro (photo) et Sofía Montenegro. Une procédure administrative et judiciaire douteuse a été engagée contre dix-sept ONG, dont les leurs, portant atteinte au droit d'informer et de s'associer. Les deux journalistes sont menacés de prison.
Reporters sans frontières proteste vigoureusement contre la procédure ouverte pour “malversation” et “blanchiment d'argent” à la demande du ministère de l'Intérieur contre dix-sept organisations non gouvernementales, en particulier le Centre d'investigation de la communication (CINCO), dirigée par le directeur de programmes audiovisuels Carlos Fernando Chamorro, et le Mouvement autonome des femmes (MAM), que préside la journaliste Sofía Montenegro. Ces deux personnes ont fait l'objet, jusqu'à aujourd'hui, d'une violente campagne de dénigrement et de calomnie de la part de l'entourage proche du président Daniel Ortega. Le 8 octobre 2008, le ministère public a menacé de les incarcérer si elles ne se rendaient pas à une nouvelle convocation. L'organisation redoute que les conséquences de cette affaire ne mettent en péril le droit de s'informer et le droit de s'associer, deux libertés constitutionnelles fondamentales.
“Le harcèlement administratif et judiciaire engagé notamment contre CINCO et le MAM est un scandale. Outre le fait que la justice est instrumentalisée pour régler des comptes politiques, le principe même de cette procédure - dirigée principalement contre des ONG dédiées à la communication, aux droits de l'homme et à la défense des droits des femmes -, compromet l'avenir de la société civile comme vecteur de débat démocratique. Cette procédure vient s'ajouter à ce que certains appellent une ‘campagne noire', c'est-à-dire une opération médiatique destinée à salir la réputation de Sofía Montenegro et Carlos Fernando Chamorro, deux voix critiques issues du sandinisme, au prix d'accusations aussi infondées que déshonorantes. La polarisation, voire la ‘guerre médiatique', à l'œuvre dans d'autres pays d'Amérique latine, fait courir un risque majeur pour l'intégrité physique de personnes désignées publiquement comme des ennemis de leur propre nation. Le président Daniel Ortega, garant des prérogatives constitutionnelles, doit mettre un terme à cette campagne et à ses suites dans les domaines administratif et judiciaire”, a déclaré Reporters sans frontières.
Producteur de plusieurs programmes audiovisuels, Carlos Fernando Chamorro a été une première fois la cible d'une campagne d'attaques personnelles, après avoir révélé, en juin 2007, une affaire d'extorsion de fonds mettant en cause la direction du Front sandiniste de libération nationale (FSLN, au pouvoir), un dossier finalement classé sans suites. “A l'époque, ma photo passait tous les jours à l'antenne de Canal 4, la chaîne progouvernementale, avec la mention ‘mafieux', ‘terroriste', ‘trafiquant de drogue' ou ‘tueur de paysans'. Pourtant, la justice elle-même a admis à l'époque que je n'avais rien à me reprocher. Depuis le mois de mai dernier et jusqu'à aujourd'hui, le procédé télévisuel a repris, cette fois avec les étiquettes ‘agent de la CIA', ‘agent de l'impérialisme', en allusion au fait que CINCO a reçu cette année 20 000 dollars de l'USAID, à peine 1 % de notre budget”, a expliqué le journaliste à Reporters sans frontières.
Au mois de septembre 2008, la première dame, Rosario Murillo, a publiquement accusé CINCO, le MAM et l'organisation OXFAM - Grande-Bretagne, qui supervise un accord de coopération avec les deux premières, d'”ourdir un plan de déstabilisation contre le gouvernement”. Le ministère de l'Intérieur a, dans la foulée, ordonné une enquête administrative et judiciaire pour “malversation” et “blanchiment d'argent” contre dix-sept ONG nicaraguayennes, dont CINCO et le MAM. Carlos Fernando Chamorro a été le premier à devoir répondre de tels soupçons devant un procureur, le 2 octobre, pendant cinq heures. Juanita Jiménez, Patricia Orozco, Ana Maria Pizarro et Sofía Montenegro, du MAM, ont été convoquées à leur tour les 7 et 8 octobre.
Ces femmes font déjà l'objet d'une procédure judiciaire engagée peu après l'investiture du président Daniel Ortega, le 10 janvier 2007, contre une dizaine de militantes reconnues d'organisations de défense des droits des femmes qui, dès 2006, se sont élevées publiquement contre l'abrogation de la loi autorisant l'avortement thérapeutique.
Le ministère de l'Intérieur a fait savoir, sur son site Internet, que les dix-sept ONG incriminées n'avaient pas de personnalité juridique et donc de statut légal, faute d'être inscrites à son registre de contrôle des associations. Les soupçons de “malversation” et de “blanchiment d'argent” portent officiellement sur quelque 58 accords financiers - dépassant pour certains les 400 000 dollars - avec d'autres ONG bénéficiant, elles, d'un statut légal. Ces dernières, déjà mises à l'amende, pourraient se voir retirer leur personnalité juridique. Les demandes d'explications de Reporters sans frontières auprès des autorités, et notamment de la ministre de l'Intérieur, Ana Isabel Morales Mazún, sont pour l'instant restées sans réponse.
Au mois de mai 2008, la personnalité juridique de deux partis d'opposition, le Mouvement de la rénovation sandiniste (gauche) et le Parti conservateur (droite) a déjà été annulée. “C'est dans un contexte de très grande tension politique et médiatique que la ‘campagne noire' a repris. Contre moi, mais aussi contre d'autres personnalités dont Sofía Montenegro, en fait parce qu'elle milite pour la dépénalisation de l'avortement”, a déclaré Carlos Fernando Chamorro. “La femme du président, Rosario Murillo, a tenu des propos particulièrement infamants contre Sofía Montenegro dans les colonnes de l'hebdomadaire El 19, l'accusant par exemple d'être une meurtrière parce qu'elle est la sœur d'un officier de la garde nationale, tortionnaire reconnu, sous la dictature d'Anastasio Somoza. Alors que Sofía Montenegro a milité dans les rangs du FSLN !” La journaliste a, depuis, fait l'objet de nombreuses menaces et tentatives d'intimidation.
“Au-delà de la procédure engagée contre nous, le gouvernement envisage une vaste révision de la loi de coopération internationale, dont l'objectif est de réduire environ 4 500 ONG à un simple rôle d'assistance”, a souligné Carlos Fernando Chamorro.