Un journaliste emprisonné en vertu d'une loi onusienne vieille de vingt ans

Reporters sans frontières appelle à la libération de Hang Chakra, rédacteur en chef du quotidien Khmer Machas Srok (http://kmsblog.wordpress.com/), placé en détention le 26 juin 2009 après avoir été condamné à un an de prison. La plainte émanait directement du Conseil des ministres, en réaction à des articles sur la possible corruption du bras droit du chef du gouvernement. "Le Premier ministre Hun Sen avait pris la décision historique de dépénaliser la diffamation, mais son gouvernement fait aujourd'hui le choix regrettable d'user et d'abuser d'une loi héritée de la mission des Nations unies au Cambodge qui punit la désinformation. Il est urgent que Hang Chakra soit libéré et que, dans la foulée, les articles 62 et 63 du code pénal mis en place dans les années 1980 par les Nations unies soient définitivement réformés. Il est par ailleurs choquant que le Conseil des ministres ait porté l'affaire devant les tribunaux sans avoir sollicité au préalable un droit de réponse", a affirmé l'organisation. C'est la première fois depuis juin 2008 qu'un journaliste est incarcéré. A l'époque, Dam Sith, directeur du quotidien d’opposition Moneaksekar Khmer, avait passé une semaine en prison après une plainte pour "diffusion de fausses informations" par le ministre des Affaires étrangères. Suite à une plainte liée à la publication en avril et en mai 2009 d'une série d’articles dénonçant des actes de corruption du vice-Premier ministre Sok An, Hang Chakra a été jugé par défaut. Il a également été condamné, après seulement une heure d'audience, à une amende équivalente à 1 500 euros. La police l'a transféré à la prison Prey Sar dans la capitale. Khmer Machas Srok, lié au Parti Sam Rainsy (opposition), est l'un des trois quotidiens d'opposition que compte le pays. Avant son incarcération, Hang Chakra a déclaré à Cambodge Soir : "Je sais que la justice ne me sera pas favorable… Mais je n'ai pas peur." Dans un article du Phnom Penh Post (www.phnompenhpost.com/index.php/2009060426264/National-news/Publisher-answers-charges.html), il affirmait avoir refusé de donner ses sources au procureur qui les lui demandait. Interrogé par Reporters sans frontières, son avocat, Chong Cho Ngy, a confirmé qu'il comptait interjeter appel. "Je ne comprends toujours pas pourquoi le juge a refusé d'entendre mon client à l'appui de la loi sur la presse. (…) Les informations publiées par le journal étaient d'un intérêt évident pour les lecteurs, c'est donc clairement une affaire de liberté de la presse", a ajouté Chong Cho Ngy. "La cour a accéléré le processus afin de rendre un jugement (…) sans la présence de mon client et après avoir rejeté ma requête de repousser le procès", a déclaré l’avocat d’Hang Chakra à des médias. Le juge Din Sivuthy, de la cour de Phnom Penh, a choisi de poursuivre le journaliste Hang Chakra sur la base du code pénal hérité de la mission des Nations unies au Cambodge (UNTAC) et non en vertu de la loi sur la presse de 1995, et cela dans le but d’obtenir une peine sévère. En effet, la loi sur la presse ne prévoit plus de peines de prison mais seulement des amendes. Selon le Club des journalistes cambodgiens, six plaintes contre des journalistes d'opposition ou indépendants ont été déposées depuis le début de l'année. Deux journalistes du service khmer de Radio Free Asia sont ainsi poursuivis après une enquête sur la communauté musulmane du pays. Cette condamnation est une nouvelle étape dans la politisation des plaintes en "désinformation" ou "diffamation", déposées par de hauts responsables gouvernementaux depuis quelques mois. Le Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l'homme au Cambodge a publié un rapport sur la liberté d'expression dans lequel il déplore l'instruction d'au moins huit différentes plaintes. Elles concernent des membres de l'opposition, des avocats et des journalistes.
Publié le
Updated on 20.01.2016