Vehbi Kajtazi, journaliste d’investigation kosovar à Koha Ditore, a déclaré avoir été directement menacé par des membres d’Eulex, la mission européenne visant à aider à l’instauration d’un État de droit au Kosovo. Le journaliste est l’auteur d’articles révélant des soupçons de corruption pesant sur des hauts fonctionnaires de la mission européenne.
Koha Ditore a lancé, lundi 27 octobre, une série de publications portant notamment sur des soupçons de corruption impliquant de hauts responsables de la mission Eulex Kosovo (Mission européenne de police et de justice). Le directeur de la mission européenne, M. Gabriele Meucci, a affirmé jeudi 30 octobre, lors d’une conférence de presse, que ces accusations graves feraient l'objet "d'une enquête approfondie".
Avant la publication des articles, le journaliste Vehbi Kajtazi avait souhaité connaître la position de la mission sur les informations dont il disposait. En réponse, le journaliste a été convoqué pour une entrevue avec Kate Fearon, la conseillère politique du chef de la mission, qui lui a demandé de remettre ses documents aux membres d’Eulex, en échange d’une réaction. Une demande à laquelle le journaliste a légitimement refusé d’accéder.
Kajtazi assure qu’après cette entrevue il a reçu des menaces venant du plus haut niveau d’Eulex : “
Le conseiller principal du responsable d’Eulex m’a mis en garde, menaçant de me poursuivre en justice si j’écrivais à propos (des allégations de corruptions au sein de la mission)”. Un comportement extrêmement grave de la part d’une mission européenne dont le but est d’aider à instaurer un état de droit au Kosovo, respectueux des valeurs démocratiques européennes.
“
En exerçant une pression sur un journaliste d’investigation, la mission Eulex agit en contradiction avec tous les fondamentaux de l’Union européenne en matière de liberté de l’information, déplore Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Eulex perd dramatiquement en crédibilité. Mais la mission européenne envoie surtout un très mauvais signal aux autorités locales. Pourquoi s’empêcheraient-elles désormais de faire pression sur les journalistes si l’Union européenne, censée mettre le Kosovo sur la voie des standards démocratiques, se permet de les menacer de poursuites judiciaires ?”
Agron Bajrami, rédacteur en chef de Koha Ditore, explique que des menaces de ce type ont déjà été exercées contre son journal, mais que c’est la première fois dans l’histoire de Koha Ditore qu’elles sont l’oeuvre de membres d’une mission internationale.
“
Nous avons eu des cas d’hommes politiques étrangers agissant individuellement dans le passé. A certaines occasions, nous avons aussi connu des tentatives de “négociation” de publications, déclare Agron Bajrami à Reporters sans frontières.
Mais je ne me souviens pas d’avoir jamais vu une institution internationale, une mission de l’Union européenne, aller si loin en faisant pression sur des journalistes pour empêcher une publication. C’est un triste jour lorsqu’une institution de l’Union européenne telle qu’Eulex se tourne contre un média libre et indépendant, de peur de voir la vérité être mise à jour”, conclut le rédacteur en chef.
Contactée par Reporters sans frontières, la porte-parole d’Eulex, Dragana Nikolic Solomon, donne une autre version des faits. Présente à l’entrevue, elle affirme qu’elle n’a été le témoin d’aucune forme de menaces contre le journaliste. “
La mission avait rencontré de bonne foi Vehbi Kajtazi afin de lui donner des informations précises .... Les allégations de menaces faites par le journaliste sont fausses, il lui a été demandé de faire part des documents en sa possession afin que (Eulex) puisse répondre de façon plus appropriée à ses questions”, déclare-t-elle à Reporters sans frontières.
La porte-parole préfère parler d’un “petit malentendu”, insistant sur le fait qu’Eulex n’avait aucun intérêt à empêcher la publication d’articles tout en soulignant le profond intérêt de la mission pour la liberté des médias. Pendant la conférence de presse, jeudi 30 octobre, les représentants d’Eulex ont affirmé que la mission n’avait intenté aucune poursuite judiciaire contre le journaliste.
La mission Eulex Kosovo a été lancée en 2008 afin de soutenir l’action des autorités kosovares dans la création d’un Etat de droit. La mission européenne, basée à Priština, capitale du Kosovo, emploie environ 2 000 agents locaux et internationaux et est dotée d’un budget de 111 millions d’euros.
Le Kosovo occupe la 80ème place sur 180 pays au
Classement mondial de la liberté de la presse 2014 publié par Reporters sans frontières.