Un journaliste britannique condamné pour “outrage à la cour”

Le journaliste d’investigation britannique David Bergman a été condamné par le tribunal des crimes internationaux du Bangladesh, pour “outrage à la cour”. Son “crime”: avoir partiellement critiqué un jugement du tribunal sur les estimations officielles du nombre de victimes lors de la guerre d’indépendance de 1971. Reporters sans frontières s’inquiète de l’usage croissant de ce chef d’inculpation à l’encontre des journalistes au Bangladesh.

Le 2 décembre dernier, le journaliste britannique David Bergman a été condamné à une amende de 5 000 takas (environ 50 euros) pour avoir publié des articles jugés outrageants sur son blog “Bangladesh war crimes”. Trois articles, publiés les 11 et 12 novembre 2011 (‘Sayedee indictment - 1971 deaths’, ‘Sayedee indictment analysis - charges’ et ‘Sayedee indictiment analysis - legal’), ont été visés par la cour. Dans ces articles, le journaliste pointe du doigt le manque d’éléments attestant le bilan officiel de trois millions de morts lors de la guerre de libération du Bangladesh de 1971, et fournit des informations provenant d’estimations indépendantes du nombre de victimes considérablement inférieures. “Cette condamnation pour 'outrage à la cour' constitue une atteinte directe à la liberté de la presse et de l’information dans le pays, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. Cela fait plus de dix ans que nous demandons aux autorités d’abroger cette offense permettant l’emprisonnement de journalistes qui ne font qu’exprimer des opinions différentes de celles de la Justice. Aujourd’hui, le système judiciaire tout entier est devenu un tabou journalistique. Aucune couverture critique de la justice et des affaires qu’elle traite ne sera possible tant que subsistera cette épée de Damoclès.” Son avocat étudie la possibilité d’interjeter appel mais que la loi relative aux crimes internationaux de 1973 ne permettait pas cette possibilité. De plus, une interprétation trop large de l’article 47 A de la constitution du Bangladesh pourrait empêcher le journaliste de bénéficier d’un appel. De nombreux journalistes ont été inculpés, et souvent condamnés, pour “outrage à la cour” par des juges du tribunal des crimes internationaux ou de la Cour suprême. En mars dernier, la Haute cour a condamné le rédacteur adjoint de Prothom Alo, Mizanur Rahman Khan, pour ''outrage à la cour'' suite à la publication d’un article traitant des mesures de détention qui avaient été émises par certains juges de cette même juridiction. Il a été condamné à verser une amende de 5 000 takas, la cour ayant considéré sa présence lors des cinq jours d’audience comme une peine suffisante. En décembre 2012, deux journalistes du magazine The Economist, vivant à l’étranger, ont été inculpés pour ''outrage à la cour'' suite à la publication d’un article critique envers l’indépendance du tribunal. Ils ont par la suite été innocentés. Le 19 août 2010, le directeur de la publication du quotidien d’opposition Amar Desh Mahmudur Rahman a été condamné à sept mois de prison pour divers chefs d’accusation dont ''outrage à la cour''. Deux semaines après sa sortie de prison, un mandat d’arrêt a été émis à son encontre, une nouvelle fois pour ce même outrage suite à un article critique envers les dirigeants de la Ligue Awami daté de 2010. En 2002, l’éditrice et le rédacteur en chef du journal Dainik Manabzamin ont été respectivement condamnés à une amende et à une peine d’un mois de prison pour "outrage à la cour". Le Bangladesh occupe la 146e place sur 180 dans le Classement pour la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières.
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Updated on 20.01.2016