Un journal d’opposition risque la fermeture

Reporters sans frontières condamne fermement l’acharnement judiciaire dont fait l’objet l’hebdomadaire d’opposition Pravdivaïa Gazeta. Le procès qui lui est intenté par un procureur du district de Bostandyk d’Almaty (capitale économique), ouvert le 12 février 2014, doit reprendre dans les prochains jours. Sur la base des trois condamnations prononcées contre le journal en moins d’un an, le procureur réclame aujourd’hui sa fermeture définitive. « Le harcèlement judiciaire dont est victime Pravdivaïa Gazeta constitue une intolérable violation de la liberté de l’information. Les condamnations prononcées contre le journal relèvent d’une parodie de justice, au mépris de son droit à un procès équitable. La forte disproportion des peines prononcées au regard des infractions alléguées souligne une volonté politique de réduire au silence la voix critique de Pravdivaïa Gazeta. Nous exhortons les autorités politiques et judiciaires à respecter les droits procéduraux et à mettre fin aux poursuites contre le journal », déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. C’est la quatrième fois que Pravdivaïa Gazeta est traîné en justice depuis sa création, fin mars 2013. Peu après la sortie de son premier numéro, le 24 avril 2013, le tribunal administratif d’Almaty a condamné le journal à une amende d’environ 150 euros pour “infraction des règles de publication”, pour ne pas avoir indiqué sa périodicité en Une. Les magistrats ont également ordonné la confiscation de 1200 exemplaires du numéro incriminé. La rédaction est convaincue que ces peines visaient en réalité à punir le journal pour avoir évoqué la publication d’un ouvrage d’un opposant retrouvé mort en 2005, Zamanbek Nourkadilov. Loin de se laisser intimider, Pravdivaïa Gazeta a continué à aborder des questions éminemment sensibles : les activités des partis d’opposition et des défenseurs des droits de l’homme, les procès contre les médias, et jusqu’au sort de l’opposant numéro 1 et oligarque en exil, Moukhtar Abliazov. Le 7 août 2013, le tribunal administratif d’Almaty a ordonné la suspension de l’hebdomadaire pendant trois mois. Cette décision faisait suite à une plainte déposée par la police, accusant Pravdivaïa Gazeta d’avoir tiré un numéro à 7000 exemplaires et non 8000 comme indiqué dans les mentions légales. Le procès n’a duré qu’une dizaine de minutes, en l’absence de tout représentant du journal. Sa rédactrice en chef, Alia Ismagоulova, n’avait pas reçu de convocation officielle et n’avait été prévenue par téléphone qu’un quart d’heure avant le début de l’audience. Très affaibli économiquement par la période d’interdiction, l’hebdomadaire a repris ses activités le 22 novembre 2013. Mais il a aussitôt fait l’objet d’une nouvelle plainte de la police d’Almaty, au motif que le numéro aurait été mis sous presse deux jours trop tôt et que les mentions légales étaient illisibles. L’imprimeur a reconnu être responsable d’une erreur et procédé à un nouveau tirage entièrement lisible. Le distributeur a quant à lui certifié qu’aucun exemplaire n’avait été distribué avant la date de publication officielle. Le journal a néanmoins été condamné dès le 18 décembre à une amende et trois mois de suspension. Le jugement a été confirmé en appel dix jours plus tard. La persécution de Pravdivaïa Gazeta s’inscrit dans le contexte d’une dégradation générale de la liberté de la presse au Kazakhstan, particulièrement grave depuis la répression sanglante de l’émeute de Janaozen en 2011. Les principaux médias d’opposition nationaux ont tous été fermés entre décembre 2012 et janvier 2013. Des infractions administratives sont fréquemment utilisées pour condamner les quelques médias critiques restants. Le journal Tribouna - Saïasat Alany, né sur les cendres d’un titre suspendu pour trois mois en septembre dernier, risque aujourd’hui trois millions de tenge (près de 12 000 euros) de dommages et intérêts dans une affaire de diffamation. Le 5 février, trois blogueurs indépendants ont été condamnés à dix jours de prison pour “hooliganisme”. Ils avaient tenté de prendre part à une rencontre organisée entre le maire d’Almaty et quelques blogueurs triés sur le volet. Le Kazakhstan figure à la 161e place sur 180 pays dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. (Photo : Kazis Togouzbaev/Radio Azattyk)
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Updated on 20.01.2016