Un célèbre journaliste risque la prison pour son livre sur la révolte de Gezi

Lire en turc / Türkçe Le 17 juin 2014 s’ouvre la troisième audience du procès intenté contre le journaliste Erol Özkoray pour son livre intitulé “Le phénomène Gezi”. L’ouvrage publié en juillet 2013 propose une analyse socio-politique du mouvement de protestation "Occupy Gezi", brutalement réprimé par les forces de l’ordre au cours de l’été 2013. Pas moins de 153 journalistes avaient été blessés et 39 autres interpellés alors qu’ils couvraient les manifestations. Erol Özkoray est accusé d’“insulte” à l’égard du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan pour un chapitre recensant divers slogans et graffitis tracés sur les murs d’Istanbul à l’époque des troubles. En vertu de l’article 125 du code pénal, le journaliste risque une peine aggravée d’un an à 32 mois d’emprisonnement pour “insulte envers un représentant de l’Etat”. Le procès s’est ouvert le 20 mars 2014 devant le tribunal correctionnel d’Istanbul. “Un an après les manifestations, les autorités continuent de criminaliser le mouvement ‘Occupy Gezi’ et sa couverture journalistique, déplore Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. En s’attaquant à une figure aussi connue qu’Erol Özkoray, elles adressent un avertissement clair à l’ensemble de la société civile.” “Il est inacceptable qu’un journaliste risque la prison pour des propos qu’il n’a fait que rapporter. Nous demandons l’abandon des poursuites et la relaxe immédiate du journaliste. Cette affaire souligne à nouveau l’urgence de réformer en profondeur la législation turque, en dépénalisant notamment la diffamation et l’insulte.” L’acte d’accusation signé par le procureur de la République, Hasan Bölükbasi, reproche à Erol Özkoray d’avoir cité dans son ouvrage des slogans tels que : "Ne fais pas l'âne, écoute le peuple", "Tu es déshonoré, démissionne", ou bien encore "Tayyip, ce n'est pas ta faute si tu as été mis au monde". La co-auteur du livre, Nurten Özkoray, n'est quant à elle pas poursuivie. "Après avoir violemment attaqué des (manifestants) pacifiques, causant huit morts et 10 000 blessés, le pouvoir islamiste essaie par tous les moyens de faire oublier cette révolte, dont les slogans font partie intégrante, a déclaré Erol Özkoray. Pour la mémoire collective, il fallait les réunir car ils sont très créatifs, ironiques et pleins d'humour. Ils appartiennent au peuple, aux six millions de personnes qui se sont révoltés dans tout le pays, ils sont donc anonymes. Les attribuer à moi seul relève d’une parodie de justice." Lauréat du prix 2014 pour la liberté de pensée et d’expression de l’association de défense des droits de l’homme IHD, Erol Özkoray est une célèbre figure du journalisme indépendant. Auteur d’articles et d’ouvrages de référence sur la domination de la vie politique turque par l’armée, il a fait l'objet d’une quinzaine de poursuites judiciaires entre 2000 et 2006, alors qu’il était directeur de publication du site d'information Idea Politika. Tous ces procès, généralement intentés pour "dénigrement des forces armées turques", se sont soldés par des non-lieux. En mai 2002, à Paris, Erol Özkoray a témoigné en faveur de Reporters sans frontières dans un procès intenté contre l’organisation par le chef d’Etat-major des armées Hüseyin Kivrikoglu, suite à une de ses opérations dénonçant les pressions des militaires sur les médias turcs. La Turquie occupe la 154e place sur 180 dans le Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on 20.01.2016