Reporters sans frontières lance un nouvel appel au président Yahya Jammeh à l'occasion du premier anniversaire de l'assassinat du journaliste Deyda Hydara, abattu par des inconnus le 16 décembre 2004. Dans un discours lu à Banjul en son nom, l'organisation demande au chef de l'Etat gambien qu'il reconnaisse l'incapacité des services de renseignements à faire avancer l'enquête et qu'il demande l'assistance d'une force de police étrangère et neutre.
Reporters sans frontières lance un nouvel appel au président Yahya Jammeh à l'occasion du premier anniversaire de l'assassinat du journaliste Deyda Hydara, abattu par des inconnus le 16 décembre 2004, pour qu'il reconnaisse l'incapacité des enquêteurs gambiens à faire avancer l'enquête et demande l'assistance d'une force de police étrangère et neutre.
Dans un texte lu pour Reporters sans frontières par Demba Ali Jawo, coordinateur de la Gambia Press Union (GPU), le syndicat local des journalistes, le 15 décembre à Banjul, l'organisation réitère sa demande au gouvernement gambien pour « qu'il consente à regarder enfin les choses en face, qu'il se donne les moyens de résoudre cette sinistre énigme en demandant l'aide des Américains, des Européens, de l'Afrique du Sud, de l'ONU ou de tout autre Etat ou institution neutres. » Le responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières, Léonard Vincent, qui devait initialement prononcer ce discours lors d'une conférence sur la liberté de la presse organisée par la GPU, a été empêché d'entrer sur le territoire gambien, faute d'avoir obtenu un visa à temps.
« Mes chers amis,
Que sait-on aujourd'hui, un an après, sur l'assassinat de Deyda ? Que ses assassins sont des lâches et qu'ils sont encore en liberté. Que l'homme qui a appuyé sur la gâchette n'a, en l'état actuel des choses, aucune raison d'être inquiet pour son avenir, pas plus que celui qui lui a donné l'ordre de le faire. Que la famille de Deyda supporte cela. Que sa veuve, ses filles et ses fils affrontent avec courage la campagne de calomnies d'enquêteurs fourvoyés. Que ses collègues, en plus d'être menacés par un chef d'Etat agressif, doivent travailler sous la pression d'une des pires législations d'Afrique. Mais chaque jour qui passe nous rend plus fort, parce que chaque jour qui passe ajoute au scandale.
Pour toutes ces raisons, je suis triste de ne pouvoir être avec vous aujourd'hui. Je suis également en colère de ne pouvoir me rendre avec vous sur le lieu du crime, rue Sankung Sillah, pour vous transmettre le message de Robert Ménard, le secrétaire général de Reporters sans frontières : nous ne vous oublions pas et nous sommes vos alliés. Deyda, qui travaillait avec notre organisation depuis 1994, était un homme énergique et sûr de son bon droit. A travers The Point, il présentait un miroir au peuple de la Gambie. A travers l'Agence France-Presse, il était le porte-parole de la Gambie pour la presse du monde entier. Il savait nous parler, nous bousculer parfois, et nous faire partager son inquiétude, sa colère ou son enthousiasme. Le 17 décembre 2004, dans la matinée, son téléphone ne répondait plus. Quelqu'un avait décidé de le faire taire pour toujours. A Paris, comme à Banjul ou ailleurs dans le monde, des larmes ont été versées.
Personne n'accuse qui que ce soit d'être l'assassin. Nous ne savons pas qui sont les brutes armées qui se trouvaient dans ce taxi Mercedes sans plaques d'immatriculation, ni qui était leur chef. Notre colère est à la mesure de notre incertitude et, pour cette raison toute humaine, nous exigeons la vérité.
Après cette année irrespirable, faite de crispation, de méfiance et de peur, les choses doivent être claires. Si Reporters sans frontières ne peut pas être à vos côtés aujourd'hui à Banjul, si je ne peux pas lire mon discours devant vous, c'est que Reporters sans frontières apparaît aux yeux du président Yahya Jammeh au pire comme des ennemis, au mieux comme des gêneurs. Or, que voulons-nous ? Que justice soit rendue, tout simplement. Comment ? En découvrant la vérité. Cet objectif est simple. Il n'a rien de subversif. Il devrait être partagé par tous ceux qui ne tolèrent pas l'injustice, qu'ils soient présidents, ministres, journalistes, simples citoyens ou militants de la liberté. En disant cela, je voudrais m'adresser au gouvernement gambien et lui dire : « Aidez-nous. La famille et les amis de Deyda ont besoin de vous. Les promesses, la main sur le cœur, ne suffisent plus. Il faut maintenant des actes. » Or, il faut se rendre à l'évidence, l'enquête ne va nulle part. Je ne reviendrai pas sur le « rapport confidentiel » de la NIA publié en juin, mais disons simplement que les enquêteurs ne font rien de sérieux. Rien. De toutes les manières, ceux qui ont des choses à dire refusent de leur parler, parce qu'ils n'ont pas confiance en eux. D'autres ont sans doute des choses à dire, mais ils ne sont pas interrogés.
Ainsi, force est de constater que, depuis la perte de Deyda, la Gambie est boiteuse. Le pays a été gravement abîmé. La confiance entre la presse et le gouvernement, indispensable pour maintenir la démocratie en vie, est rompue. Comme me l'a dit un jour Pap Saine, les assassins de Deyda ont une dette immense envers la Gambie. Les autorités ne peuvent plus ignorer les appels légitimes de l'une des plus respectables familles de Gambie. Si la famille et les amis de Deyda réclament que justice leur soit rendue, c'est aussi pour le bien de leur patrie.
Reporters sans frontières veut saluer, dans l'assistance, tous les amis de Deyda qui ne sont pas gambiens. Votre aide est essentielle, et pas seulement pour montrer à nos amis gambiens que vous êtes solidaires de leurs souffrances. Vous êtes aujourd'hui à Banjul pour prouver que les trois coups de feu tirés à Kanifing dans la nuit du 16 au 17 décembre 2004 contre la voiture de Deyda ont résonné sur tout le continent. Cet odieux assassinat n'est pas l'affaire des seuls Gambiens. C'est un signal terrifiant envoyé à tous les journalistes africains pour leur dire que, s'ils font trop bien leur métier, ils risquent d'être abattus. Continuons à clamer haut et fort le nom de Deyda au Ghana, au Mali, au Sénégal, en République démocratique du Congo, en Afrique du Sud, au Sierra Leone et ailleurs. Continuons à dire que cette menace qui plane sur les grands journalistes africains - Norbert Zongo, Carlos Cardoso ou Deyda hier, et d'autres demain -, nous ne l'accepterons pas. Continuons à exiger du gouvernement gambien qu'il consente à regarder enfin les choses en face, qu'il se donne les moyens de résoudre cette sinistre énigme en demandant l'aide des Américains, des Européens, de l'Afrique du Sud, de l'ONU ou de tout autre Etat ou institution neutres. Pour sa part, avec ses moyens, Reporters sans frontières est à l'entière disposition du gouvernement gambien.
Je voudrais terminer mon appel en m'adressant directement au président Yahya Jammeh. « Monsieur le Président, un philosophe français a écrit récemment une phrase que vous ne pourrez qu'approuver : ‘Ce n'est pas parce que les choses sont comme elles sont qu'il faut se résigner. C'est parce que nous sommes résignés que les choses sont ce qu'elles sont.' Pour parodier notre ami Deyda, je vous laisse méditer. Good thinking, Mr. President. »
Je vous remercie. »