Ukraine : la pénalisation de la diffamation serait “un inquiétant retour en arrière”
Une proposition de loi introduite au Parlement ukrainien le 20 novembre menace de rendre la diffamation passible de trois ans de prison. Reporters sans frontières (RSF) appelle les députés à rejeter ce texte et à ne pas céder à la surenchère liberticide à l’approche des élections générales.
Dix-sept ans après la dépénalisation de la diffamation en Ukraine, une proposition de loi cherche à revenir sur cet important acquis démocratique. Le texte, introduit le 20 novembre 2018 par trois députés du parti présidentiel, prévoit des peines allant jusqu’à trois ans de prison.
“La repénalisation de la diffamation constituerait un inquiétant retour en arrière, un pas vers l’exemple russe contradictoire avec les obligations internationales et les engagements démocratiques de l’Ukraine, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Nous appelons les députés à rejeter ce texte et à s’abstenir de toute nouvelle initiative liberticide."
L’expérience internationale montre que pénaliser les délits de presse favorise un climat d’intimidation propre à décourager les journalistes d’aborder les sujets sensibles. Aussi l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ou encore l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) réprouvent toutes cette pratique. Dans une observation de 2011, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies rappelait que “les lois sur la diffamation doivent être conçues avec soin de façon à garantir qu’elles répondent au critère de nécessité [...] et qu’elles ne servent pas, en pratique, à étouffer la liberté d’expression. [...] L’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée.”
La dépénalisation des délits de presse, actée en 2001, est régulièrement remise en cause en Ukraine. Son annulation a été évitée de justesse en 2012 grâce à une large mobilisation, à laquelle avait pris part RSF. La diffamation est brièvement repassée dans le domaine pénal en janvier 2014, dans le cadre d’un train de lois liberticides adopté pour écraser le mouvement de protestation de la place Maïdan. Des dispositions abrogées dès le triomphe du soulèvement et le départ en exil du président Viktor Ianoukovitch, le mois suivant.
Cette nouvelle initiative intervient dans un climat de tension politique à l’approche des élections générales de mars 2019, climat propice aux surenchères et gesticulations électoralistes. Une autre proposition de loi liberticide a été introduite au Parlement le 7 novembre : elle vise à confier aux députés le pouvoir de proposer au Conseil national de sécurité et de défense des sanctions contre les médias.
L’Ukraine occupe la 101e place au Classement mondial 2018 de la liberté de la presse, établi par l’organisation.