Turquie : “Acquittez Cumhuriyet, acquittez le journalisme !”
Le procès de 18 collaborateurs du journal Cumhuriyet reprend ce 24 avril 2018 et devrait se clôturer cette semaine. Reporters sans frontières (RSF), qui intervient officiellement auprès de la cour, appelle à l’acquittement de tous les prévenus.
Plus d’un an et demi après le coup de filet d’octobre 2016 contre Cumhuriyet, le procès de 18 collaborateurs du journal arrive à son terme : l’audience qui s’ouvre ce 24 avril devrait se conclure par le verdict. Treize journalistes et administrateurs risquent jusqu’à 15 ans de prison pour “assistance à une organisation terroriste”. Le directeur exécutif de Cumhuriyet, Akın Atalay, est en détention provisoire depuis plus de 500 jours. Dix de ses collègues, dont le journaliste d’investigation Ahmet Şık, l’éditorialiste Kadri Gürsel ou encore le rédacteur en chef du journal Murat Sabuncu, ont été remis en liberté conditionnelle après de longs mois derrière les barreaux.
RSF remet au tribunal, ce 24 avril, un amicus curiae rédigé par Maîtres William Bourdon, Amélie Lefebvre, Jessica Lescs et Guillaume Sauvage. Dans cette tierce intervention, les avocats démontrent que le droit au procès équitable et le droit à la liberté d’expression des collaborateurs de Cumhuriyet ont été violés. Au mépris non seulement du droit turc, mais aussi de la Convention européenne des droits de l’homme. Le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoğlu, assistera à l’audience à partir du 26 avril.
“Acquittez les collaborateurs de Cumhuriyet, acquittez le journalisme ! déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Tout au long de ce procès, nous avons vu l’accusation développer une théorie du complot kafkaïenne fondée sur la criminalisation du journalisme. Onze journalistes et administrateurs ont croupi en prison pour rien, traités comme des terroristes pour n’avoir fait que leur métier. Il est grand temps de mettre un terme à cette mascarade.”
La justice accuse les journalistes et administrateurs de Cumhuriyet d’avoir mis en oeuvre un “changement radical de ligne éditoriale” pour soutenir les visées de trois organisations considérées comme “terroristes” en Turquie : le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupuscule d’extrême-gauche DHKP/C. Des mouvements aux idéologies hétéroclites que le quotidien n’a cessé de critiquer. L’accusation se fonde largement sur des articles de presse, des contacts de Cumhuriyet avec des sources d’information ou des partenaires commerciaux, ou encore les activités de son conseil exécutif, autant d’éléments surinterprétés et tirés de leur contexte.
Le journal a multiplié les révélations embarrassantes pour les autorités ces dernières années, devenant le fer de lance d’une presse indépendante plus que jamais sous pression. Ce qui a valu à Cumhuriyet de recevoir le Prix RSF pour la liberté de la presse en 2015.
La Turquie occupe la 155e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.