Trois journalistes seraient morts en détention dans le bagne d'Eiraeiro

Reporters sans frontières exige du gouvernement érythréen qu'il fournisse de manière urgente des preuves de vie de trois journalistes détenus arbitrairement depuis septembre 2001. Des informations provenant de sources crédibles ont fait état de leur décès, entre 2005 et 2006, au centre de détention d'Eiraeiro, situé dans une zone désertique du nord-est du pays.

Reporters sans frontières exige du gouvernement érythréen qu'il fournisse de manière urgente des preuves de vie de trois journalistes détenus arbitrairement depuis septembre 2001, après que des informations provenant de sources crédibles ont fait état de leur décès, entre 2005 et 2006, au centre de détention d'Eiraeiro, situé dans une zone désertique du nord-est du pays. Le 9 octobre 2006, l'organisation a adressé un courrier à l'ambassade de la République d'Erythrée en France pour demander à Asmara de fournir des explications "dans un délai raisonnable" sur ces "informations très inquiétantes". "Sans réponse de votre part dans un avenir proche, notre organisation rendra publiques ces informations", prévenait ce courrier, qui est resté lettre morte. "Le silence des autorités érythréennes est intolérable. Des dizaines de prisonniers politiques ont disparu dans des bagnes gérés par les forces armées. Parmi eux, figurent au moins treize journalistes dont on est sans nouvelles depuis bientôt cinq années irrespirables. Aujourd'hui, les informations révélées par le rapport sur le pénitentier d'Eiraeiro sont extrêmement dérangeantes. Aucun gouvernement ne doit plus traiter avec le président Issaias Afeworki et son gouvernement sans exiger des explications sérieuses et documentées", a déclaré Reporters sans frontières. En août 2006, un rapport détaillé sur le centre de détention d'Eiraeiro, situé dans le désert de la sous-zone de Sheib, dans la zone administrative de la mer Rouge septentrionale (Nord-Est), a été publié sur Internet. Ce texte apporte des informations précises et vérifiables sur la localisation exacte de cette prison, où seraient détenus au moins 62 prisonniers politiques, dont des anciens ministres, des hauts fonctionnaires, des militaires de haut rang, des opposants et huit des treize journalistes détenus depuis la rafle de septembre 2001. D'abord publié en langue tigrinya, le 17 août, sur le site éthiopien aigaforum.com, il a ensuite été traduit et publié en anglais, le 31 août, par le site érythréen d'opposition awate.com, animé depuis les Etats-Unis. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, les sources des informations contenues dans ce rapport, connues de l'organisation mais gardées secrètes pour des raisons de sécurité, sont crédibles et sérieuses. Eiraeiro serait un centre de détention construit en 2003 dans une zone désertique du nord-est du pays, "l'une des zones les plus chaudes du pays", selon un journaliste érythréen en exil consulté par Reporters sans frontières. L'accès à ce complexe pénitentiaire ne pourrait se faire qu'à pied, à deux heures de marche de la route la plus proche, reliant Serjeka et Gahtelay, au nord-ouest de la localité de Filfil Selomuna. La prison comprendrait 62 cellules de 3 mètres sur 3, dans lesquelles seraient incarcérés des prisonniers politiques qui étaient auparavant détenus à Embatkala (Est). Parmi les prisonniers mentionnés dans le rapport figurent Seyoum Tsehaye (ou Fsehaye), journaliste freelance (cellule n°10), Dawit Habtemichael, rédacteur en chef adjoint et co-fondateur de Meqaleh (cellule n°12), un journaliste identifié par le prénom "Yosief" ou "Yusuf", sans doute Yusuf Mohamed Ali, rédacteur en chef de Tsigenay (cellule n°9), Medhane Tewelde (sans doute Medhane Haile), rédacteur en chef adjoint et cofondateur de Keste Debena (cellule n°8), Temesghen Gebreyesus, journaliste et membre du conseil d'administration de Keste Debena (cellule n°23), Said Abdulkader, rédacteur en chef et fondateur d'Admas (cellule n°24), Emanuel Asrat, rédacteur en chef de Zemen (cellule n°25). Un ancien prisonnier politique érythréen, aujourd'hui en exil et ayant souhaité garder l'anonymat, a affirmé à Reporters sans frontières que le dramaturge et journaliste de Setit Fessehaye Yohannes, dit "Joshua", serait aujourd'hui détenu dans la cellule n°18 de la prison d'Eiraeiro. Il aurait auparavant été détenu au pénitentier de Dongolo (Sud), dans une cellule souterraine de 1,5 mètre de côté sur 2,50 mètres de haut, éclairée par une ampoule allumée 24 heures sur 24. L'un de ses amis, qui dit avoir été détenu en même temps que lui et qui vit aujourd'hui en exil, a affirmé à Reporters sans frontières que Joshua avait été torturé et que, notamment, ses ongles avaient été arrachés. Tous ces journalistes font partie des treize professionnels raflés dans la semaine du 18 au 25 septembre 2001 par la police érythréenne, après que le gouvernement avait décidé de "suspendre" l'ensemble des médias privés du pays et ordonné l'arrestation de tous ceux qu'il considérait comme des opposants. Le rapport évoque au moins neuf décès en détention dus à "diverses maladies, la pression psychologique ou le suicide". Parmi ces neuf prisonniers figurent Yusuf Mohamed Ali, qui serait décédé le 13 juin 2006, Medhane Haile, qui serait décédé en février 2006 et Said Abdulkader, qui serait décédé en mars 2005. Tous les Erythréens consultés par Reporters sans frontières sur la fiabilité de ces informations ont confirmé que, bien qu'invérifiables en l'état, elles étaient au minimum "tout à fait plausibles". Un journaliste érythréen en exil a ainsi raconté qu'en 2000, alors qu'il était détenu dans un centre de détention comparable à celui d'Eiraeiro, "de nombreux prisonniers détenus en même temps que moi sont morts suite à des crises de paludisme ou d'autres maladies. Leurs corps ont été jetés dans des fosses communes, sans indication de leur identité. Quelquefois, les autorités ont fait croire aux familles des défunts que leurs proches s'étaient évadés ou qu'ils avaient été tués par les Ethiopiens". Les conditions de détention détaillées par le rapport sont très pénibles. La plupart des prisonniers auraient leurs mains enchaînées. Ils dormiraient à même le sol et ne disposeraient que de deux draps pour leur literie. Leur barbe et leurs cheveux seraient rasés une fois par mois. Depuis février 2006, ils seraient autorisés à sortir de leur cellule une heure par jour, mais jamais en contact avec d'autres prisonniers. Toute conversation avec les gardes du camp serait prohibée, sous peine de punition immédiate. Depuis 2001, Reporters sans frontières et l'ensemble des organisations de défense des droits de l'homme et de liberté de la presse demandent la libération des prisonniers politiques érythréens, et notamment les treize journalistes arrêtés à la suite de la rafle de septembre 2001. Le gouvernement érythréen rétorque qu'ils sont détenus dans le cadre d'une enquête parlementaire sur de prétendues activités d'"espionnage" et de "trahison". En 2001, alors que la deuxième guerre avec l'Ethiopie arrivait à son terme, la presse indépendante avait relayé les appels à la démocratisation du pays de quinze hauts responsables du parti au pouvoir, connus sous le nom de "groupe des 15" ou "G 15". En guise de réponse, le 18 septembre 2001, le gouvernement érythréen avait décidé de rafler le "G 15" et de "suspendre" tous les médias privés du pays. En avril 2002, après avoir entamé une grève de la faim pour réclamer un procès juste, dix journalistes détenus avaient été transférés dans des lieux de détention inconnus.
Publié le
Updated on 20.01.2016