Commission africaine des droits de l’homme : RSF expose les défaillances de l’Érythrée en matière de liberté de la presse

Pour les autorités érythréennes qui s’exprimaient devant la 77e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à Arusha (Tanzanie), la situation de la liberté de la presse est “reluisante”. Présente à la séance, Reporters sans frontières (RSF) a exposé une réalité bien différente. L’Érythrée détient le triste record des plus longues détentions de journalistes dans le monde. Depuis plus de 20 ans, les médias indépendants sont toujours interdits dans le pays.

La loi érythréenne protège les droits inaliénables des citoyens à l'expression légale de leurs opinions et à l'accès à l'information sans ingérence”. Ces termes ont été employés, le 29 octobre dernier, par la délégation érythréenne dirigée par Biniam Berhe, chargé d'Affaires à l’ambassade d'Erythrée en Éthiopie et représentant de son pays à l’Union africaine (UA). Des propos survenus lors de la présentation par le diplomate devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), du rapport sur la situation du pays entre 2017 et 2020.

Principal organe se prononçant sur les questions de violations des droits de l’homme en Afrique, la CADHP tenait sa 77e session ordinaire à Arusha en Tanzanie. RSF y participait grâce à son statut d’observateur. 

Alors que le rapport soumis par les autorités érythréennes présente la situation de la liberté de la presse sous un jour favorable, avec un paysage médiatique pluraliste, il ne fait mention, à aucun moment, des 11 journalistes emprisonnés sans jamais avoir été jugés. Quatre d’entre eux, dont Dawit Isaak, cofondateur du premier journal indépendant en Érythrée, sont aujourd'hui les journalistes emprisonnés depuis le plus longtemps sans procès dans le monde, après 22 ans de détention. Cette synthèse n’aborde pas non plus l’interdiction totale des médias indépendants dans le pays depuis le 18 septembre 2001.

Bien qu’il ait eu le mérite d’être présenté à la Commission africaine, le rapport des autorités érythréennes omet des éléments essentiels et passe outre les détentions, sans jugement, de 11 journalistes, dont quatre depuis maintenant 22 ans. Nous demandons à l’Erythrée de les libérer sans plus attendre et de respecter ses engagements aux conventions internationales des droits humains, auxquels le pays a souscrit.

Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF

Le silence de l’Erythrée

La rapporteure spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique, Ourveena Geereesha Topsy-Sonoo, a également demandé, lors de cette session, à l'Erythrée d'organiser un procès pour les journalistes emprisonnés, avant de relever plusieurs questions : quelles sont les mesures prises par le gouvernement pour garantir l’accès à une information équitable ? Quelles sont celles prises pour assurer la protection effective des journalistes ? 

Alors que l’Etat était supposé répondre aux questions le lendemain, comme l’indique le protocole, la délégation érythréenne a annoncé avoir besoin de “plus de temps” et a repoussé sa réponse à la prochaine session, prévue début 2024. 

Quatre journalistes érythréens détenus depuis plus de 20 ans

En 2018, RSF avait déjà envoyé un rapport parallèle en réponse à celui soumis par les autorités érythréennes à la Commission, et avait souligné, de la même manière, “l’écart abyssal entre la situation décrite par les autorités érythréennes et la réalité”.

Parmi les journalistes emprisonnés, Dawit Isaak, de nationalités suédoise et érythréenne,  est le symbole de la situation délétère de la liberté de la presse dans le pays. Le 23 septembre 2001, il est arrêté par les autorités à son domicile d’Asmara, la capitale de l’Erythrée, après une lettre ouverte publiée dans un journal indépendant demandant au président d’organiser des élections démocratiques. Lui et ses confrères sont, depuis, emprisonnés dans un lieu et des conditions gardés secrets.

À l’été 2021, les Nations unies ont annoncé avoir obtenu des preuves datant de 2020, attestant que Dawit Isaak serait encore en vie et qu’il se trouverait à la prison d’Eiraeiro au nord-est du pays. En juillet 2023, le groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l'homme des Nations unies a publié un avis sur le cas du journaliste et appelé le gouvernement érythréen à révéler son lieu de détention, à se prononcer sur son état de santé, ainsi qu’à sa libération immédiate. Cette décision a été prise à la suite d’une plainte déposée par RSF et une coalition internationale d’ONG.

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