"Tout était en différé" : témoignage d'une journaliste de radio

Une journaliste chinoise, résidant à l'étranger, a accepté de nous donner son témoignage sur les conditions de travail qu'elle a dû affronter dans une radio chinoise. Pour des raisons de sécurité, Reporters sans frontières a choisi de préserver son anonymat. Son expérience en tant que présentatrice et productrice de radio en Chine, dans les années 2000, éclaire sur le statut de plus en plus complexe des journalistes chinois, sans cesse tiraillés entre la volonté de révéler la vérité, et celle de ne pas courir de trop gros risques. Son témoignage rappelle que le contrôle gouvernemental dans les médias audiovisuels est encore plus fort que dans la presse ou sur Internet. Cette journaliste nous présente la censure de l'intérieur, et nous permet d'en comprendre un peu mieux les mécanismes. Reporters sans frontières la remercie pour son témoignage courageux et très instructif. 1) A quelle période avez-vous travaillé comme responsable d'une station de radio en Chine ? J'ai commencé à travailler comme productrice et présentatrice de programmes en 2001, jusqu'en 2004. 2) A cette époque, quel était l'attitude du gouvernement chinois vis-à-vis des médias ? La radio pour laquelle je travaillais n'était qu'une radio parmi des milliers d'autres en Chine. Mais elle était représentative de la situation des stations chinoises à l'époque. Tout d'abord, il faut savoir que les radios, les journaux et les chaînes télévisées sont le principal outil de propagande dans le pays. Les opinions exprimées par les stations sont donc contrôlées par le Département de la propagande. Nous étions souvent censurés. Par exemple, chaque année, le 4 juin, jour anniversaire de la création du Parti Communiste et de la proclamation de la République populaire de Chine, les règles de censure se durcissaient, et les articles négatifs étaient interdits. Ces périodes de contrôle plus strict étaient fréquentes. Par exemple, pendant les Jeux olympiques de 2008, il était impossible de diffuser des informations sur les destructions massives d'habitations à Pékin, ni sur les plaintes déposées par la population à propos de ces destructions. La censure est administrée par le Département central de la propagande qui donne directement des ordres très explicites aux responsables des médias. Les ordres pouvaient être envoyés sous la forme de communiqués, de documents écrits, mais pouvaient aussi bien être transmis par téléphone. Ces ordres étaient tout d'abord donnés aux directeurs des radios, qui étaient, la plupart du temps, aussi rédacteurs en chef. Enfin les responsables de la rédaction communiquaient ces directives aux journalistes. Autre exemple de sujet censuré : lorsque Pékin a été choisie pour les JO 2008, le gouvernement a imposé aux magasins d'harmoniser leurs noms. A l'époque, les librairies Wansheng ont refusé et leurs locaux ont été détruits sur ordre de la mairie. Ces magasins ont porté plainte contre le responsable du quartier de Haidian à Pékin. Il nous était par exemple interdit de diffuser des informations sur ce genre d'affaires. Du point de vue technique, les radios chinoises ont mis en place des programmes diffusés en vrai faux "direct". Chaque station radio possède une machine qui retarde légèrement la diffusion de l'information. Ainsi, lorsqu'un responsable d'émission émet des propos en direct, qui vont à l'encontre des directives du Département de la propagande, par exemple, des propos sur la religion ou contre le Parti communiste, ils sont bloqués à temps. De cette façon, les paroles des présentateurs radio sont toujours filtrées. Autre problème, la radiodiffusion est peu rentable en Chine. De nombreuses stations possèdent ainsi d'autres business. C'est en faisant de la publicité pour ces entreprises qu'elles réunissent les moyens suffisants pour conduire leurs émissions. C'est une pratique très courante en Chine et surtout pour les radios. La plupart des entreprises qui font de la publicité sont du secteur pharmaceutique. Elles produisent parfois des médicaments contrefaits ou de mauvaise qualité. A l'époque, je m'opposais à ces entreprises qui fabriquaient de faux médicaments pour faire du profit. J'avais écrit plusieurs articles qui critiquaient cette pratique. En résumé, les radios chinoises se caractérisent par deux points importants : il s'agit d'un outil de propagande utilisé par le parti au pouvoir, et il leur faut s'associer à une entreprise pour être rentable. C'est pour cela que la plupart des responsables des stations ont choisi de se plier aux règles strictes établies par les autorités. A l'inverse, les journalistes et les responsables d'antenne qui choisissent de dire la vérité subissent une forte pression de la part du gouvernement ou, plus grave, peuvent être démis de leur fonction. 3) Quel est votre point de vue sur la censure des médias à l'heure actuelle ? En Chine, les médias sont réduits à un rôle d'outil de propagande. Les médias ne sont donc pas une plate-forme indépendante de diffusion d'informations. Ils restent fortement teintés par une idéologie. C'est pour cela que de nombreux journalistes, dont moi, avons fortement contesté ce système médiatique. 4) Ensuite vous avez travaillé pour une ONG. Quelle liberté d'action ? Je m'étais résignée sur le travail de journaliste radio, alors j'ai intégré l'une des premières organisations chinoises pour la protection de l'environnement. J'étais en charge d'écrire des articles sur l'écologie. J'en étais arrivée à la conclusion que la cause des principaux problèmes en Chine réside dans les obstacles imposés par le système. Les ONG représentaient une nouvelle force pour faire évoluer la société. Nous voulions entamer un mouvement qui aurait fait évoluer les idées et l'éducation. Plusieurs intellectuels engagés, des avocats et des journalistes comme nous, avaient pris l'initiative de créer une ONG qui portait sur l'environnement, la santé publique, l'éducation, le travail et l'égalité des sexes. Nous avions mis en place des aides et des formations juridiques qui s'adressaient aux ONG ainsi qu'aux particuliers. L'un des projets portait sur la pollution de l'eau en Chine. Nous avions donc mené des enquêtes dans toutes les régions et nous avions impulsé un mouvement de protestation des populations locales contre les gouvernements locaux et les entreprises coupables de pollution de l'eau. Mais, en Chine, la pression du gouvernement est encore plus forte vis-à-vis des ONG que des médias. La nôtre n'a donc jamais réussi à être enregistrée en tant que telle. Personnellement, j'ai commencé à être surveillée par la police à partir de 2006, et j'étais souvent "invitée à boire le thé" (il s'agit d'une expression chinoise qui désigne la méthode qu'utilise la police pour interroger un dissident). En 2010, j'ai été convoquée à deux reprises par la police et j'ai été assignée à résidence pendant 48 heures. Comme je n'avais aucun moyen de recevoir une quelconque protection, j'ai donc été forcée de quitter temporairement la Chine. 5) Vous résidez aujourd'hui à l'étranger. Portez-vous une attention particulière au sort des journalistes chinois? Je suis devenue journaliste à l'étranger. La différence entre les médias chinois et les médias occidentaux, c'est que si en Chine, on ne manque pas de bons journalistes, ils ne sont pas libres de donner l'information qu'ils veulent à cause de la censure. Je porte un très grand intérêt au sort des journalistes chinois, et je m'entretiens souvent avec mes collègues restés là-bas.
Publié le
Updated on 20.01.2016