Tentative de blocage de la circulation de l'information : les journalistes et leurs défenseurs sous pression
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Reporters sans frontières exprime sa vive inquiétude face aux conditions de détention des journalistes et opposants emprisonnés suite aux manifestations du 19 décembre 2010. Les pressions exercées sur eux et sur leurs défenseurs, ainsi que les tentatives de limiter la diffusion d’informations les concernant, rappellent les campagnes de répression du régime soviétique.
Les visites des avocats à leur clients sont fortement limitées, sous le prétexte que le centre de détention ne dispose que d’une seule salle allouée à cet effet. Le défenseur de Natalia Radzina, rédactrice en chef de charter97.org, a pu rencontrer sa cliente le 19 janvier 2011. Il l’a trouvée souffrante, atteinte d’une bronchite et d’une grippe. Irina Khalip, journaliste de Novaïa Gazeta et épouse du candidat d’opposition Andreï Sanikau, elle, n’a pas vu son avocat depuis le 30 décembre 2010. Le couple (actuellement emprisonné et risquant de 5 à 15 ans de prison) a subi des pressions psychologiques, les autorités bélarusses annonçant que la mère d’Irina Khalip devait être déclarée apte pour se voir confier la garde de leur fils de trois ans. Dans le cas contraire, il serait placé en orphelinat. Au bout d'une dizaine de jours, la grand-mère de l'enfant a finalement pu obtenir sa garde. Le couple a également été accusé par le journal officiel d’avoir fomenté un coup d’état, soutenu par la Pologne et l’Allemagne.
Par ailleurs, le 20 janvier 2011, l’Association du Barreau de Minsk (MCBA) a recommandé à ses membres de ne répondre qu’aux questions écrites des journalistes et d’exiger que ceux-ci leurs soumettent leurs articles avant publication. Selon Andreï Bastunets, avocat de la Belarussian Association of Journalists (BAJ, organisation partenaire de RSF), “la MCBA a publié cette recommandation sous la pression du ministère de la Justice, qui tente de limiter autant que possible l’accès à l’information concernant les opposants et journalistes poursuivis pour participation à une manifestation illégale. Cette recommandation n’est pas un acte légal et ne devrait pas avoir de conséquences légales”. Si ce conseil est suivi par les avocats, les journalistes ne pourront plus les interviewer par téléphone. Cette directive contribue à isoler les détenus et à empêcher qu’ils soient défendus à l’échelle nationale ou internationale.
La pression ne faiblit pas sur les professionnels des médias. Le 18 janvier 2011, le correspondant de la radio polonaise Racija, Baris Haretski, a été condamné à 14 jours de prison. Arrêté le 17 janvier par un officier du KGB alors qu’il interviewait des proches de militants de l’opposition, au prétexte qu'il n'avait pas d'accréditation, il a été accusé d'avoir participé à la manifestation du 19 décembre 2010. Mais ce jour, il couvrait le rassemblement pour Radio Racija. Il fait partie de la trentaine de journalistes arrêtés pour participation à cette manifestation, alors qu’ils ne faisaient qu’exercer leur métier. Les officiers du KGB ont également perquisitionné l’appartement de sa mère et de son frère. Le correspondant du quotidien russe Kommersant, Movsun Gaszhiev, a lui aussi été victime de ce type de pressions. Il été informé par le ministre des Affaires étrangères que son accréditation (obtenue depuis 2008) ne serait finalement pas prolongée en raison « d’inexactitudes » dans ses documents.
Toujours le 17 janvier, Yauhien Vaskovich, jeune journaliste de Bobruisky Kurier a été arrêté et condamné, pour la seconde fois, à 10 jours de prison, pour « vandalisme ». Selon la rédaction du journal, le 16 décembre, jour où il est censé avoir commis ce délit, il se trouvait en mission d’observation du processus électoral dans plusieurs bureaux de vote. Déjà condamné à 12 jours de prison le 19 décembre, il avait refusé de signer un engagement à ne plus participer à une manifestation. Son appartement a également été perquisitionné et son ordinateur saisi.
Le 20 janvier 2011, la direction de la chaîne officielle ONT a informé le journaliste Siarheï Darafeyeu qu’il lui serait bientôt interdit de présenter l’émission-débat Vybar. Cette décision intervient un mois après l'édition spéciale “Election Day” dans laquelle il avait ouvertement remis en cause la légalité du scrutin présidentiel. Il avait amené la responsable de la commission électorale à reconnaître que des violations de la loi avaient entaché le processus électoral. Il avait aussi demandé aux officiels d’expliquer pourquoi les électeurs n’étaient pas autorisés à organiser des manifestations et pourquoi les membres de l’opposition n'avaient pas pu faire partie des observateurs. Siarheï Darafeyeu se défend d’avoir enfreint la loi et ne comprend pas pourquoi il ne pourrait plus présenter cette émission : “Toutes les émissions que j’ai présentées sont pleinement en accord avec la loi bélarusse et les normes journalistiques”, a-t-il confié à Reporters sans frontières.
Enfin, ces derniers jours, au moins six membres de la Belarusian Association of Journalists (BAJ) ont été interrogés par les officiers du KGB au sujet des manifestations du 19 décembre.
Alors qu’Alexandre Loukachenko (qui a officiellement prêté serment le 21 janvier) s’évertue à défendre la légitimité de sa ré-élection, les autorités européennes et américaines ont annoncé des sanctions à l’encontre de son régime. Le 20 janvier, le Parlement européen a condamné la répression menée par le gouvernement bélarusse et appelé à organiser de nouvelles élections, libres et démocratiques. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe doit se prononcer le 31 janvier sur la restriction des visas des officiels bélarusses et sur le gel de l’aide financière apportée par le Fond monétaire international. Un groupe de sénateurs américains a demandé aux autorités européennes de prendre des mesures conjointes avec les Etats-Unis, entraînant de véritables conséquences, afin d’enrayer la répression.
Reporters sans frontières encourage les gouvernements européen et américain à mettre en place tous les moyens nécessaires pour forcer les autorités bélarusses à libérer les opposants et journalistes emprisonnés.
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Updated on
20.01.2016