Singapour : la loi contre les fausses informations ne doit pas museler davantage les voix indépendantes

Une commission spéciale composée de ministres et de députés singapouriens reprend aujourd’hui ses audiences censées aider le gouvernement à élaborer un projet de loi de lutte contre les “mensonges délibérés en ligne”. Invitée à s’exprimer, Reporters sans frontières (RSF) fait part de ses doutes quant à la sincérité de cette sollicitation et livrera ses recommandations après avoir pris connaissance du texte.

Une commission spéciale a été récemment mise en place par le gouvernement pour “examiner comment Singapour peut contrecarrer les mensonges délibérés diffusés en ligne”. Pour cela, 79 acteurs ont été invités à s’exprimer sur la question en vue de l’élaboration de ce projet de loi “anti-fake news”. Réparties en trois sessions, les auditions, qui doivent durer jusqu’à la fin du mois, reprennent aujourd’hui, jeudi 22 mars.


Invitée à s’exprimer devant la commission spéciale, RSF a opté de ne pas se prononcer sur un texte dont personne ne connaît le contenu. Dans la mesure où l’arsenal législatif de Singapour est déjà l’un des plus répressif du monde à l’égard de la liberté d’informer, y compris en ligne, l’organisation s’interroge sur la nécessité d’une nouvelle loi mais se dit prête à livrer ses recommandations dès qu’elle aura pris connaissance de l’esprit et de la nature du texte.


“Compte tenu de précédents législatifs alarmants dans la cité-Etat, RSF relaie les profondes inquiétudes des défenseurs singapouriens de la liberté d’informer à propos de cette législation, qui s’annonce selon eux comme un nouvel outil de censure des voies indépendantes, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous prenons bonne note de la volonté des autorités de Singapour de vouloir recueillir les avis de la société civile. Malheureusement, avec un Parlement à 80% aux mains du parti au pouvoir, nous redoutons que la loi soit adoptée sans débat de fond et sans amendement déterminant, rendant cette consultation stérile.”


Empilement de législations drastiques


Depuis que les autorités ont annoncé vouloir légiférer sur la question au printemps 2017, journalistes et blogueurs rappellent qu’ils peuvent se retrouver derrière les barreaux pour diffamation, outrage au tribunal, “atteinte à la sécurité nationale” ou “malveillance à l’encontre de groupes religieux ou raciaux” - des législations vagues dont l’interprétation a trop souvent servi à criminaliser tout propos critique à l’égard du Premier ministre Lee Hsien Loong ou de son gouvernement. C’est ce qui est arrivé, entre autres, au site collaboratif The Online Citizen, régulièrement harcelé pour avoir publié des informations qui ne suivaient pas la ligne éditoriale voulue par les autorités.


En 2013, RSF a protesté contre une loi sur les contenus en ligne qui, de facto, oblige les blogs d’information à s’acquitter d’une licence de 50.000 dollars singapouriens (30.000 euros) et se soumettre à la censure du gouvernement. Face à cet empilement de législations drastiques qui encouragent l’auto-censure, la perspective d’une nouvelle loi qui réduirait encore le champ d’expression d’une information libre n’est, en l’état, pas souhaitable.


Pas plus tard qu’hier mercredi, le Parlement singapourien a adopté un projet de loi absurde qui interdit la couverture médiatique des attaques terroristes - projet auquel RSF s’est fermement opposée lorsqu’il avait été révélé il y a trois semaines.


Singapour stagne à la 151ème place sur 180 pays dans le Classement mondial pour la liberté de la presse établi en 2017 par RSF.
Publié le
Mise à jour le 03.04.2018