En lui offrant l'organisation d'un sommet en juillet 2006, l'Union africaine (UA) oublie l'hostilité du président Yahya Jammeh envers la presse. Il y a un an jour pour jour, celui-ci vantait avec ironie le « professionnalisme » de ses forces armées, dont les soldats, eux, n'aurait pas raté l'avocat Ousman Sillah. Quelques mois plus tard, le journaliste Deyda Hydara était assassiné.
« Mon armée et (les membres de) mes forces armées sont des professionnels et le monde entier le sait. La nature de l'attaque montre que si cela avait été exécuté par mes forces armées, il n'y a pas un soldat de mon armée qui aurait tiré deux fois sur un être humain et laissé cette personne en vie. »
Ainsi parlait le président gambien Yahya Jammeh, le 9 février 2004, il y a un an. Il s'exprimait alors sur la polémique soulevée par Ousman Sillah, un célèbre avocat de Banjul qui avait échappé quelques semaines auparavant à une tentative d'assassinat, derrière laquelle certains dénonçaient la main du pouvoir.
Or, quelques mois plus tard, le 16 décembre 2004, le journaliste gambien Deyda Hydara était abattu au volant de sa voiture, alors qu'il raccompagnait chez elles deux employées du trihebdomadaire qu'il dirigeait. Le mode opératoire de cet assassinat, où l'une des figures les plus respectées du journalisme en Gambie a trouvé la mort, présentait de fortes similitudes avec la tentative de meurtre d'Ousman Sillah.
Un an après que Yahya Jammeh avait tenu ses propos, l'Union africaine (UA) a accordé à la Gambie l'organisation du sommet de l'organisation panafricaine en juillet 2006 pour saluer sa « confiance dans le leadership » de son président.
Reporters sans frontières exprime son « étonnement » devant le « cadeau » offert par l'UA au président gambien Yahya Jammeh. « Alors que les journalistes gambiens ont été plongés dans la stupeur après l'assassinat de Deyda Hydara, le message que leur envoie l'UA est amer, a déclaré Reporters sans frontières. On récompense le président gambien, malgré son attitude intransigeante et hostile envers les journalistes. Enfin, on lui fait la faveur d'organiser un sommet international à quelques mois d'un scrutin présidentiel où il sera candidat à sa propre succession. »
« Nous ne comprenons pas que l'organisation dirigée par Alpha Oumar Konaré offre un tel cadeau à Yahya Jammeh, sans lui demander de contreparties. Dans l'affaire Hydara, l'enquête de police piétine. La piste du crime politique est abandonnée, en dépit des évidences. Une telle décision, annoncée dans la foulée du sommet d'Abuja les 30 et 31 janvier, est d'autant plus étonnante qu'elle constitue la seule réponse publique apportée par l'UA à l'assassinat de Deyda Hydara. »
A la veille du sommet de l'UA, Reporters sans frontières avait demandé à l'institution de « dénoncer publiquement » l'assassinat de son correspondant, par ailleurs cofondateur et codirecteur du trihebdomadaire The Point et correspondant de l'Agence France-Presse (AFP). L'organisation avait également demandé aux homologues du président gambien de faire pression sur lui pour que la « piste du crime politique » soit explorée par la police.