La Commission de supervision financière bulgare a contraint, début janvier 2015, Iconomedia à payer une amende record de 150 000 leva (environ 80 000 euros). L’éditeur de l’hebdomadaire Capital et du quotidien
Dnevnik s’est vu imposer une seconde amende de 10 000 leva (environ 5 000 euros) pour avoir refusé de révéler ses sources.
La Commission se base sur la loi contre les manipulations de marché. L’amende de 100 000 leva fait suite à une plainte de Vodstroy 98 et d’Industrial Construction Holding.
Capital avait affirmé que ces deux entreprises, contrôlées par
Deliyan Peevski, du Mouvement des droits et des libertés (DPS), avaient retiré leurs avoirs de la First Investment Bank (Fibank). Iconomedia doit aussi payer une amende de 50 000 leva (environ 25 000 euros) pour avoir écrit un article sur la compagnie Sopharma.
C’est la première fois que la Commission de supervision financière impose de telles amendes. En comparaison, le montant total des amendes pour “manipulations de marché” pendant l’année 2013 est moins élevé que la seule amende contre Iconomedia.
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La Commission cherche clairement à faire taire ces journaux qui ont, depuis plusieurs années, révélé l’existence d’importantes irrégularités dans le secteur financier”, déclare Lucie Morillon, directrice des programmes de Reporters sans frontières.
Des amendes records pour censurer la presse
D’autres médias ont aussi été touchés par les sanctions de la Commission de supervision financière et de la Banque nationale bulgare.
Début janvier, le journal en ligne zovnews.bg
a été condamné par la Commission à payer une amende de 100 000 leva pour avoir écrit que la banque Fibank était menacée de faillite. Un journaliste, dont l’identité n’a pas été révélée, a été condamné à une amende s’élevant à 50 000 leva.
Fin 2014, la Commission de supervision financière avait également lancé des
poursuites similaires contre deux autres médias - les sites mediapool.bg et bivol.bg. Reporters sans frontières
dénonçait déjà en octobre 2012 les poursuites intentées par la Banque nationale bulgare contre le site d’information
bivol.bg.
“L
a Commission de supervision financière attaque des médias qui parlent de la crise bancaire, (...) et de l’incapacité des institutions et des politiciens à y répondre fermement et de façon décisive. Au lieu de punir les personnes responsables de l’instabilité, ils visent le messager”, explique Alexander Kashumov, avocat et défenseur de la liberté d’expression, qui représente Iconomedia sur ces affaires.
Un modus operandi bien rodé
Les poursuites massives de la Commission de supervision financière contre
Capital et Iconomedia ont commencé pendant l’été 2014 et, depuis cette date, la rédaction de
Capital a reçu des dizaines de lettres contenant des allégations de violation de la loi. Elle y était aussi sommé de révéler ses sources.
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Au lieu de travailler pour instaurer stabilité et confiance dans le système financier, la Commission entreprend des actions extrêmes contre les médias, commente Galya Prokopieva, directrice exécutive d’Iconomedia.
Elle démontre ainsi le niveau de crise institutionnelle des régulateurs financiers.”
Le 19 janvier,
200 personnes ont manifesté contre ces amendes devant le Parlement bulgare à l'appel du réseau "Parole libre", une ONG récemment créée.
Procès équitable
Le droit à un procès équitable est protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui établit que “
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil”. Ce droit est aujourd’hui menacé par les actions de la Commission.
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La Commission de supervision financière n’est pas capable d’assurer des garanties d’impartialité, d’indépendance, et de contradictoire. C’est un acteur du monde bancaire, qui ne doit en aucun cas s’imposer face à la Constitution bulgare, garante de la liberté de la presse, ajoute Lucie Morillon.
Cette Commission n’a d’ailleurs aucune compétence en droit de la presse et il est du ressort de l’État bulgare de ne pas la laisser censurer des médias en les condamnant à des amendes aussi élevées”.
La Bulgarie figure à la 100ème position sur 180 pays au
Classement mondial de la liberté de la presse, la plus mauvaise performance au sein des pays de l’Union européenne.