RSF tire la sonnette d’alarme sur le climat d’insécurité pour les professionnels de l’information

Deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Abd Rab Mansour Hadi à la présidence de la République du Yémen, la situation de la liberté de l’information dans le pays reste extrêmement préoccupante, en particulier l’insécurité qui touche les professionnels de l’information. Au cours des quatre derniers mois, Reporters sans frontières a recensé une vingtaine d’exactions, grâce notamment au travail de documentation de l’ONG yéménite Freedom Foundation et du Syndicat des journalistes. Les journalistes sont la cible non seulement de groupes ou d’individus armés, mais également de la part des forces de sécurité. Et ce, en toute impunité. “Nous exhortons les autorités yéménites à prendre tous les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité des professionnels de l’information. Des instructions claires doivent être données aux forces de sécurité afin qu’elles n’entravent pas le travail des journalistes, trop souvent pris à partie de manière délibérée. Des enquêtes systématiques sur chaque violation de la liberté de l’information doivent être ouvertes”, a déclaré Lucie Morillon, directrice de la recherche et du plaidoyer à Reporters sans frontières. Par ailleurs, Reporters sans frontières dénonce la condamnation, le 10 mars 2014, à un an de prison ferme et à une amende de 100 000 rials (environ 330 euros) par la cour d’appel de la province Al-Baydha de Majed Karout, correspondant au site Online. Ce dernier est accusé d’avoir publié sur Facebook des documents contenant des informations mensongères relatives à des faits de corruption imputés à l’ancien Directeur géneral des Télécommunications. Majed Karout a déclaré au quotidien Aden Al-Ghad “ne pas être surpris par cette condamnation injuste, le tribunal n’a pas pris en compte les documents présentés par (mon) avocat pour (ma) défense.”

Exactions de la part des forces de sécurité

Une grande partie des attaques dont sont victimes les journalistes sont le fait des forces de sécurité. Le 23 février dernier, l’ONG égyptienne ANHRI a dénoncé l’acharnement des forces de l’ordre et les exactions contre les journalistes dans l’exercice de leur fonction, déclarant : “Les agressions contre les journalistes, les professionnels de l’information et leur détention visent à museler les voix dissidentes, dans le silence le plus total des autorités yéménites” . Le 2 mars 2014, une équipe de la chaîne de télévision Al-Arabiya, composée du journaliste Ihab Al-Chowafi, du réalisateur Jamal Noman, du cameraman Fouad Al-Khader, et de l’assistant-cameraman Fathi Al-Jaberi, a été agressée par des agents de forces de l’ordre devant le palais de justice de Sanaa, alors qu’elle couvrait l’arrivée d’un convoi de détenus devant le tribunal. Frappés et insultés, ils ont vu leur caméra confisquée. Le 22 février dernier, des policiers ont agressé Fathi Lazrak, rédacteur en chef du quotidien Aden Al-Ghad. Ils ont perquisitionné sa voiture et confisqué son arme personnelle alors que le journaliste leur a montré son permis de port d’arme. Quand le rédacteur en chef leur a demandé de lui présenter leur mandat, les policiers ont rédigé un pseudo mandat au dos d’un paquet de biscuits, et l’ont menacé de mort. Le même jour, l’imprimerie du “14 Octobre” a refusé d’imprimer le journal, arguant du fait qu’ils avaient “reçu des instructions d’interdiction d’imprimer Aden Al-Ghad ”. Suite à cette interdiction, une manifestation de journalistes et d’activistes, a été organisée le lendemain en soutien au quotidien. Les forces de l’ordre ont cherché à disperser les manifestants à l’aide de grenades lacrymogènes. Le 3 février, Mohamed Elafy, journaliste à Saba, a été pris à partie par les forces de l’ordre alors qu’il couvrait une manifestation à Sanaa. Violemment frappé à la tête, il a dû être hospitalisé. Le 4 décembre, Abdulsalam Al-Ghubary, rédacteur pour le site Internet “Les partisans de la révolution”, a reçu plusieurs coups, dont des coups de matraque, de la part des forces de l’ordre à Sanaa alors qu’il couvrait une manifestation de motards qui protestaient contre le prolongement de l’interdiction de circulation des motos. Le 30 novembre, Yahya Aarab, photographe pour le compte d’une agence européenne, a été violemment frappé par les forces de l’ordre qui lui ont confisqué sa caméra alors qu’il couvrait une autre manifestation de motards. Le 10 novembre, Adel Abdel Moughani, journaliste à Al-Wahdi et directeur du magazine Al-Chourouk, a été interpellé quelques heures par la sécurité nationale de l’aéroport alors qu’il rentrait d’un colloque du centre international de journalisme au Maroc. En septembre 2013, il avait déjà fait l’objet d’une interpellation similaire alors qu’il rentrait d’un autre colloque au Maroc.

Exactions de la part de groupe armés ou d’inconnus

Le journaliste de la chaîne YMC TV, Fahmi Al-Buhaïri, et son cameraman Farhan Khaled ont été frappés le 10 février 2014 par des inconnus et empêchés de couvrir une manifestation à Sanaa. La veille, le journaliste de la chaîne Al-Sahat TV Haikal Al-Ariki et son cameraman Basheer Al-Jahlani, ont été insultés, frappés, menacés de mort par deux inconnus à Taez alors qu’ils interviewaient des citoyens. L’acharnement contre le quotidien Akhbar Al-Youm ainsi que les tentatives d’enlèvements dont sont victimes un certain nombre d’acteurs de l’information sont emblématiques des difficultés rencontrées par les professionnels des médias au Yémen. Le véhicule chargé de distribuer les exemplaires du quotidien a été attaqué et détourné par des hommes armés à trois reprises en six mois. Le 5 octobre 2013, des hommes armés ont détourné le bus pendant une heure, volé l’intégralité du contenu avant d’y mettre le feu. L’une des personnes en charge de la distribution a été enlevée et relâchée le lendemain. Le 5 novembre, huit hommes armés ont pris d’assaut un autre véhicule de distribution du même quotidien et se sont emparés d’un million de riyals (environ 3500 euros) et de l’intégralité des copies du journal. Le 5 février 2014, une nouvelle attaque a été perpétrée par un groupe armé, qui s’est une nouvelle fois emparé des exemplaires. Le 13 février 2014, le fils du directeur de l’agence Saba, Yasser Al-Maalami, âgé de 13 ans, a été la cible d’une tentative d’enlèvement par des inconnus. Il a réussi à s’échapper en criant et en alertant les passant. Les agresseurs sont eux parvenus à prendre la fuite. Fatek Al-Radini, journaliste également à Saba, a également fait l’objet d’une tentative d’enlèvement à Sanaa le 5 février dernier. Le lendemain, alors qu’il rentrait chez lui, quatre individus l’ont violemment agressé avant de prendre la fuite à bord de deux véhicules. Une partie de ses affaires personnelles a été volée. Le 17 février dernier, des individus - agressant une femme et son enfant en pleine avenue de la liberté, à Sanaa - ont menacé et frappé Akrem Jahlan, photographe du site Internet Chabab Al-Taghïr, alors qu’il était en train de filmer la scène. Le 3 décembre 2013, Saraa Al-Shahary, correspondante pour la chaîne télévisée Al-Massira, avait été enlevée par des inconnus alors qu’elle était à bord de sa voiture à Sanaa. Torturée, elle a été abandonnée le lendemain sur une route à coté de l’aéroport par ses agresseurs, dépouillée de tous ses effets personnels.
Publié le
Updated on 20.01.2016