Yémen : deux journalistes français assignés à résidence et expulsés du pays

Deux reporters français ont été arrêtés et interrogés par la police yéménite pendant plus d’une semaine, avant d’être expulsés du pays. RSF condamne ces arrestations arbitraires et alerte sur les pressions exercées sur des journalistes étrangers.

Journalistes indépendants, Quentin Müller et Sylvain Mercadier se trouvaient dans leur appartement sur l'île yéménite de Socotra, à l’entrée du golfe d'Aden, lorsque les forces de l’ordre les ont arrêtés le 28 mai. Leur logement a été fouillé sans qu’aucun mandat n’ait été présenté. Leur matériel et leurs passeports leur ont été confisqués. Escortés vers un commissariat de police pour être interrogés, ils ont ensuite été assignés à résidence pendant une semaine, avant d'être contraints de quitter le pays le 4 juin.

L'arrestation de Quentin Müller et Sylvain Mercadier, leur assignation à résidence et leur expulsion du pays marquent un regain de violences arbitraires envers les journalistes au Yémen, et témoignent du climat d'intimidation prégnant dans le pays. Le Conseil de transition du Sud (CTS) doit cesser de harceler les journalistes et doit libérer les deux journalistes qu'il détient encore.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Arrivé au Yémen en 2021 en tant que professeur de français, Quentin Müller a d’abord vécu sur l’île de Socotra jusqu’en avril de la même année. Il y a réalisé plusieurs reportages, pour le quotidien français Libération, le journal mensuel Le Monde Diplomatique, et  le webzine Orient XXI, sur la politique du territoire, documentant l'ingérence des Émirats arabes unis dans le pays. De retour sur l’île depuis le 3 mai, le journaliste se sait alors surveillé. Il est prévenu que son nom et sa photo circulent parmi les chefs de police. 

Arrêté le 28 mai, il est interrogé par le chef de la police locale, celui de la police nationale et les agents des services de renseignements, qui détiennent des copies traduites en arabe des articles, publiés deux ans plus tôt. Longuement questionnés à ce sujet, il est suspecté de travailler pour le compte d’“un pays tiers”, sous-entendant une influence qatarienne, rival politique des Émirats arabes unis. "Ils m’ont fait signer des aveux reconnaissant ma faute d'avoir écrit des articles politiques et sensibles, mettant en péril la stabilité de Socotra, n'ayant eu aucune autorisation des autorités au préalable, avec la promesse de ne plus écrire sur Socotra", a déclaré Quentin Müller. 

Pendant ses quatre jours d'interrogation, les forces de l’ordre ont aussi fait pression sur le journaliste pour qu'il révèle ses sources yéménites, lui stipulant même que l'une d’elles avait été arrêtée. Les policiers lui ont par ailleurs reproché de ne pas être entré dans le pays avec un visa de journaliste. Un motif fallacieux de l’avis de Quentin Müller : "Ils n'ont pas vu d'inconvénient à ce que j'écrive sur l'environnement au Yémen l'année dernière. Ils ne m'ont arrêté que pour mes articles politiques les exposants."

Pendant les jours qui ont suivi leur libération du poste de Police, les journalistes ont été surveillés par les forces de l’ordre, assignés à résidence. “Cela aurait pu être pire pour nous, reconnaît Quentin Müller. Je pense aux journalistes yéménites qui ne peuvent pas quitter le pays aussi facilement. C'est à eux qu'il faut penser. Les Sudistes  le CTS  ne sont pas très favorables à la liberté de la presse.”

Comme il l’explique dans une série de tweets, son arrestation révèle en effet l'emprise du CTS sur les différents corps intermédiaires du pays. Le groupe séparatiste soutenu par les Émirats arabes unis, fait partie du gouvernement internationalement reconnu d'Aden, et exerce une influence importante sur les services de sécurité dans le sud, notamment sur l'île. 

Quant à Sylvain Mercadier, il a été arrêté arbitrairement pour avoir été en compagnie de Quentin Müller. Le cofondateur et directeur du média indépendant irakien Red Line Media a été, lui aussi, contraint de quitter le pays. 

Les visas pour les journalistes étrangers sont difficiles à obtenir au Yémen, tandis que les journalistes locaux continuent d'être pris en étau entre les différents partis et leurs diverses allégeances politiques. Un accord récent entre l'Iran et l'Arabie saoudite a permis un échange de prisonniers entre les Houthis soutenus par l'Iran et le gouvernement d’Aden soutenu par l'Arabie saoudite en avril, ce qui a conduit à la libération de quatre journalistes otages qui avaient été condamnés à mort à Sanaa

Trois journalistes locaux ont été tués en 2022, un des bilans les plus lourds au Moyen-Orient. Par ailleurs, six journalistes yéménites sont toujours enlevés dans le pays et deux sont détenus par le gouvernement officiel à Aden.

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