Alors que le monde entier célébrait le 66e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme le 10 décembre, le gouvernement japonais instaurait la “loi sur la protection des secrets spécialement désignés” (
Act on the Protection of Specially Designated Secrets, SDS). Ce texte prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour les lanceurs d’alerte qui seraient reconnus coupables d’avoir transmis des informations classées “secrets d’Etat” par le gouvernement, et pour les journalistes ou les blogueurs qui diffuseraient une information qu’ils auraient obtenues “illégalement” par leurs propres moyens ou après avoir sollicité un lanceur d’alerte. Le danger que représente cette nouvelle loi réside principalement dans le flou qui entoure les critères permettant au gouvernement de classifier une information et le manque de transparence dont ce dernier bénéficie.
Reporters sans frontières soutient l’
action en justice lancée par 43 journalistes indépendants japonais sur l’inconstitutionnalité de la loi relative aux secrets d’Etat, initiée par
Yu Terasawa, journaliste freelance et
héros de l’information. Dans un communiqué publié le 10 décembre 2014, le groupe de journalistes demande l’abrogation de la loi, en sollicitant le soutien d’une majorité parlementaire au sein de la Diète. Les journalistes affirment que la loi relative aux secrets d’Etat est incompatible avec la Constitution japonaise. Le groupe reproche le passage en force de la loi et le mépris du gouvernement envers le principe de participation démocratique. En octobre 2014, ce dernier avait refusé de prendre en compte un sondage de l’opinion publique défavorable à l’adoption de la loi ainsi que 24 000 commentaires critiques postés en ligne à son attention.
“Cette loi s’inscrit clairement en violation de la Constitution du Japon, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique à Reporters sans frontières. En refusant de reconnaître l’existence du principe d’intérêt général et en bafouant le droit d’accès à l’information des citoyens, le gouvernement de Shinzo Abe ramène le Japon un demi-siècle en arrière. “Que se passerait-il si la question du nucléaire et de l’après-Fukushima étaient classifiées ou si le gouvernement décidait de dissimuler une affaire de corruption ? Aucun rétrocontrôle du gouvernement n’est instauré et les peines d’emprisonnement prévues par le texte dissuaderont la plupart des journalistes d’enquêter sur tout sujet qui se verrait classifié. Nous exhortons le gouvernement à abroger ce texte répressif et liberticide comme l’a demandé un collectif de 43 journalistes japonais indépendants”, ajoute Benjamin Ismaïl.
Des manifestations, qui avaient déjà eu lieu lors de l’adoption de cette loi en 2013, ont été organisées mercredi 10 décembre devant le bureau du Premier ministre japonais. Ce dernier avait déclaré le 18 novembre dernier, que les sujets concernés étaient l’espionnage et le terrorisme et ne relevaient donc pas de l’intérêt général.
Le Japon occupe la 59e place sur 180 pays dans le
Classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières.
(photo: Makiko Segawa)
Déclaration des journalistes japonais à l'origine de l'action en justice :
Statement of Plaintiff’s Group
Tokyo Legal Action on Unconstitutionality of “The Secrets Law”
December 10th, 2014
Plaintiff’s Group and Legal Team for The Secrets Law Legal Action
Today, December 10th, the Act on the Protection of Specially Designated Secrets, or “The Secrets Law”, is enforced.
We have been taking legal action to try to stop enforcement of the law, due to its unconstitutionality. The enforcement of the law will not put an end to our efforts. In the days to come, we will continue our court challenge and attempt to win the case, and furthermore we are going to take stronger actions to insist on abolishment of the law.
“The Secrets Law” was passed forcibly last December, ignoring public opinion. Opinion polls conducted just after the enactment of the bill showed the majority of people were against it.
Then in October this year, the government ignored 24,000 public comments on the enforcement order and guidelines of “the Secrets Law”. Even though the enforcement order and guidelines still have significant issues such as vague designation criteria, they were endorsed by the Cabinet.
Bad laws are normally exposed over time, as their interpretation and implementation are extended. However, “the Secrets Law” has been contrary to the principle of the sovereignty of the people since the beginning.
The immediate concern after the enforcement of the law is the arbitrary designation of secrets by the government, with the accompanying erosion of the “freedom of the press” and people’s “right to know”.
Furthermore, under Prime Minister Abe with his slogan of “Take Back Japan” and in the name of “the right of collective self-defense”, “the Secrets Law” will be a key in creating a regime “able to go war”.
A lot of information will be hidden under the cloak of the Secrets Law, and we can predict authorities will abuse power without oversight by the people. For instance, there is even the possibility of creating an autocratic regime outside the constitution, similar to the “Enabling Act” established in Germany under the Nazi regime.
To ensure this does not happen, we have to protect Japan’s constitution which advocates the sovereignty of the people, pacifism, and respect for fundamental human rights, and we must abolish the mistake that is “the Secrets Law”.
It is never too late, even after the enforcement of the law. If a majority of Diet members are in favor, we can abolish the “Secrets Law” at any time. In addition to our legal action, we plaintiffs are going to do our best to work with fellow concerned citizens throughout Japan and the world to promote movements and public opinion for abolishment of this law.
End.