RSF exhorte les autorités kényanes à soutenir la presse indépendante

Au Kenya, les médias privés ne pourront plus recevoir de recettes publicitaires de la part du gouvernement. Cette énième mesure restrictive pourrait gravement affaiblir la presse indépendante dans un pays qui se prépare aux élections générales du mois d’août prochain.

Dans une note de service, rendue publique par le quotidien privé Daily Nation cette semaine, Samson Mwathathe, le chef d'état-major du Kenya et Sicily K. Kariuki, ministre de la Fonction publique interdisent à toutes les institutions gouvernementales de faire de la publicité dans les médias privés. Cette mesure vise même les offres d’emplois ou les appels d’offre qui ne pourront être publiés que dans les médias publics. Un manque à gagner de 20 millions de dollars de recettes, soit un tiers des revenus des médias privés, selon les syndicats de médias privés. Le gouvernement justifie cette asphyxie financière des médias indépendants par soucis d’économies, alors que le pays se dirige vers des élections générales en août 2017.


“Reporters sans frontières appelle le gouvernement à revenir sur cette directive qui va considérablement affaiblir les médias kenyans dans leur ensemble, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de l’organisation. Alors que les élections générales se profilent en août, cette nouvelle mesure pourrait bel et bien être interprétée comme une volonté délibérée du gouvernement de restreindre les voix indépendantes“


Les journalistes empêchés de travailler


Cette décision est d’autant plus préoccupante qu’elle fait suite à plusieurs mesures restreignant la liberté de la presse au Kenya.


En début d’année, RSF et plusieurs organisations avaient dénoncé l’expulsion du pays du correspondant du Times, Jerome Starkey. Les autorités avaient fini par expliquer que le visa de travail du journaliste avait été refusé, alors que ce dernier n’en avait jamais été averti et qu’il travaillait dans le pays depuis quatre années déjà.


Le directeur de l’édition du week end du Daily Nation a lui été renvoyé après la publication le 1er janvier 2016 d’un éditorial critiquant les résultats de l’administration du président Kenyatta.


Plus grave, l’assassinat toujours non élucidé en avril 2015 du journaliste John Kituyi, rédacteur en chef du journal régional Mirror Weekly, alors qu’il enquêtait sur les intimidations que des témoins auraient subies dans le cadre du procès du vice-président William Ruto devant la CPI.


Ces derniers mois, la police s’en est pris à des journalistes en plein reportage, comme l’illustre le cas du reporter de K24 télévision, Duncan Wanga, arrêté sans motif le 27 septembre 2016, alors qu’il couvrait une manifestation à Eldoret dans l’ouest du pays. Sa caméra a été détruite. Accusé d’avoir violé l’article 29 du Information and Communication Act, après avoir publié une histoire sur les forces de défense, Yassin Juma, journaliste et blogueur connu pour couvrir les questions militaires, a quant à lui été arrêté le 23 janvier 2016. L’article a depuis été déclaré anticonstitutionnel, jugé trop vague, en avril 2016.


Les simples citoyens se sentent également autorisés par ce climat d’impunité, à s’en prendre aux journalistes. Entre juillet et août 2016, alors qu’ils étaient en reportage, au moins cinq journalistes ont été physiquement agressés par des élus locaux ou leurs groupes de supporters. L’autorité de régulation kényane a condamné ces attaques et appelé la police à enquêter sur ces incidents.


En février 2016, le Daily Nation, l’un des quotidiens les plus lus du pays et propriété du groupe de l’Aga Khan a fait l’objet de plusieurs pressions de la part du gouvernement. La direction du journal a notamment suspendu puis renvoyé Godfrey Mwampembwa, connu sous le pseudonyme de Gado, dessinateur au journal depuis plus de 20 ans, qui incarnait une certaine liberté de ton des médias kenyans, après un dessin représentant l’ancien président tanzanien Jakaya Kikwete. H.


Toutes ces actions s’inscrivent dans un contexte législatif toujours plus restrictif. Les lois sur la sécurité publique ont été amendées pour augmenter les prérogatives du service de renseignement, Le National Intelligence Service (NIS). Plus récemment, en septembre 2016, les autorités se sont attaquées à la liberté d’information sur le Net, à travers le projet de loi sur la protection et la cyber-sécurité, au nom de la lutte contre les discours de haine. Malheureusement, les provisions trop générales de la loi inquiètent car elles pourraient être utilisées pour museler des blogueurs ou journalistes trop critiques du gouvernement.


Le Kenya occupe la 95eme place sur 180 pays dans le Classement 2016 de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Updated on 02.03.2017