Kenya : l’opérateur de télécommunications Safaricom met la pression sur le Nation Media Group après la publication d’une enquête sur la surveillance généralisée
Une enquête du Nation, plus grand journal du pays, a provoqué l’ire de l’opérateur privé de télécommunications Safaricom. Menaces de procédures-bâillons, demandes d’auditions, suspension des contrats publicitaires… Safaricom met tout en œuvre pour faire plier le groupe de presse. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces pressions et appelle les autorités kényanes à protéger les journalistes d’investigation.
Bras de fer engagé entre Safaricom et le Nation Media Group (NMG). Après la publication le 29 octobre d’une enquête dévoilant l’implication de Safaricom dans la surveillance généralisée, ce grand opérateur de télécommunications kényan remue ciel et terre pour noyer ces révélations. En cause ? L’entreprise a octroyé pendant des années aux agences de sécurité un accès pratiquement illimité aux données des clients pour suivre des criminels présumés, ce qui viole le droit à la vie privée des utilisateurs innocents.
Dans une lettre consultée par RSF, Safaricom a commencé par menacer le 31 octobre le groupe de presse ainsi que les journalistes ayant participé à l’enquête d’une procédure-bâillon, si l’article n’était pas retiré et un rectificatif publié. Quelques jours plus tard, la société privée a décidé de couper ses dépenses publicitaires sur les plateformes du média. Une suspension non négligeable : avec un budget alloué de près 5 millions de dollars par mois, Safaricom est l’un des plus importants pourvoyeurs de publicité du pays.
Les représentants de NMG ont été reçus le 5 décembre par le Conseil des médias du Kenya pour une audition, à la suite d’une plainte déposée par les avocats de Safaricom. D’après un responsable éditorial du média, l’audition était une “formalité”, qui a simplement “servi à préparer le reste de la procédure, qui reprendra en janvier 2025”.
L’enquête menée par le Nation Media Group a un intérêt public : elle a permis au grand public d’être informé de l’implication de l’opérateur Safaricom dans un scandale d’État. Il est inadmissible que depuis cette publication fin octobre, l’opérateur de télécommunication continue de se démener pour noyer les révélations de ce média, alors que les journalistes ont donné l’occasion à Safaricom de se prononcer sur le fond. Le travail d’enquête du NMG doit à tout prix être protégé. RSF dénonce les pressions exercées par Safaricom et sa tentative d’asphyxier économiquement le groupe de média, et appelle les autorités kényanes à protéger les journalistes d’investigation et leur travail essentiel.
Les démarches initiées par Safaricom accentuent la pression sur le NMG et ses journalistes. “Si le journal Nation n'est plus en mesure de publier ce genre d’enquêtes parce que la situation devient trop compliquée, il n'y aura plus personne pour publier ce type de contenu”, craint Namir Shabibi, journaliste indépendant et co-auteur de l’enquête.
Safaricom ne s’est pas limité aux attaques frontales : la société menace également l’ensemble des organisations demandant des comptes à la suite de la publication de l’article. Le 18 novembre, une lettre est ainsi envoyée à la Commission Kenyane des droits humains (KHRC) pour la mettre en garde contre sa lettre ouverte adressée à l’opérateur, publiée quatre jours plus tôt, demandant à Safaricom de rendre des comptes.
Campagne de dénigrement et spots publicitaires
Plus étrange, une campagne de dénigrement à l’encontre du média a été lancée le 6 novembre. Une fausse lettre du Conseil des médias du Kenya, accompagnée du hashtag #WhatsNMGHiding, a été publiée sur X (anciennement Twitter) par deux comptes – ici et là –, prétendant que des investigations visant le journal sont en cours. Un démenti de l’organisme, relayé par les autorités, a été publié le jour même.
Début novembre, Safaricom s’offrait également une nouvelle vitrine pour se défendre, par le biais d’annonces publiées dans deux autres journaux, The Standard et The Star. L’entreprise y réaffirme son engagement en faveur de la protection de la vie privée de ses clients.