RSF demande des preuves de vie des journalistes détenus en Erythrée

Reporters sans frontières répond aux accusations portées par l'Ambassadrice d'Erythrée contre l'organisation dans une lettre adressée au directeur de la Division pour la liberté d'expression et le développement des médias de l'UNESCO. Elle appelle l'Etat d'Erythrée à fournir des preuves de vie des trois journalistes, Dawit Habtemichael, Mattewos Habteab et Wedi Itay dont l'Ambassadrice nie le décès en détention et invite le gouvernement érythréen, par la voix de son ambassadeur, à répondre aux questions des journalistes de radio Erena.



Madame Hanna Simon
Ambassadrice de l'Etat d'Erythrée en France
1 rue de Staël
75015 Paris



Paris, le 1er septembre 2015 Madame l'Ambassadrice, C'est avec surprise que Reporters sans frontières (RSF) a pris connaissance de votre lettre adressée le 1er juin 2015 à Guy Berger, directeur de la Division pour la liberté d'expression et le développement des médias de l’UNESCO, dans laquelle vous mettez en cause nos informations faisant état de la mort en détention des journalistes érythréens Dawit Habtemichael, Mattewos Habteab et Wedi Itay. Organisation de défense de la liberté de l’information, RSF a en effet soumis en juin 2013 un rapport détaillé lors du processus de l'Examen périodique universel des Nations unies qui s'intéressait à l'Erythrée à cette date. Dans ce rapport, nous affirmions que sur les 11 journalistes arrêtés en 2001, sept sont morts en prison. Or vous niez le décès de trois d'entre eux. Madame l'Ambassadrice, cette affirmation de votre part suscite de la nôtre deux questions. Si nous comprenons bien, vous affirmez que les trois journalistes Dawit Habtemichael, Mattewos Habteab et Wedi Itay sont toujours en vie. Dans ce cas, pouvez-vous fournir à leur famille et à leurs proches des preuves de vie ? Car cela fait 14 ans qu'ils n'en ont pas reçu ! Votre propos signifie-t-il que le gouvernement érythréen reconnaît la mort, au cours de leur détention, des quatre autres journalistes - Medhanie Haile, Yusuf Mohamed Ali, Said Abdulkader et Fessehaye Yohannes - détenus depuis 2001 ? Reporters sans frontières exhorte le gouvernement érythréen à enfin autoriser la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l'Homme en Erythrée à effectuer la mission d'enquête dans le pays. Elle réclame cette mission d’enquête depuis sa nomination. Or elle lui a été systématiquement refusée. En ce qui concerne vos accusations à l'encontre de notre organisation, et notamment ses supposés préjugés contre l'Erythrée, vous constaterez, en consultant nos archives, que RSF a dénoncé les exactions commises dans votre pays à partir des rafles de septembre 2001 qui ont contraint tous les journaux de la presse privée à mettre la clé sous la porte et conduit les journalistes en prison. RSF n'a aucune opinion politique autre que son attachement à la liberté de la presse. L’ONG s'attache à appliquer strictement son mandat, sans autre considération. Aujourd'hui, il n'existe aucune presse indépendante en Erythrée. Les journalistes gouvernementaux vivent avec la terreur de déplaire et de se voir “punis”. C'est sans doute parce que vous n’êtes pas habituée à un paysage médiatique respectant les usages démocratiques que vous confondez la radio Erena, une radio libre de ton, capable de rapporter des opinions contradictoires, avec une radio d'opposition. Sachez que les journalistes de cette radio tentent systématiquement d'obtenir des commentaires et analyses de la part des autorités érythréennes - qui refusent tout aussi systématiquement. Il ne tient qu'à vous que cela change, Madame. Radio Erena se fera un plaisir de recueillir vos réponses aux questions de ses journalistes et ainsi enrichir les reportages que vous lui reprochez de mener. En me tenant à votre disposition pour toute question supplémentaire que vous pourriez avoir, je vous prie d'agréer, madame l'ambassadrice, l'expression de mes salutations respectueuses. Christophe Deloire Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016