Alors que le président américain Barack Obama commence une tournée africaine au Kenya et en Ethiopie, Reporters sans frontières (RSF) lui adresse une lettre lui demandant d'aborder avec ses homologues africains les questions liées à la liberté de l'information. Un thème préoccupant en Ethiopie, où il n'existe plus aucune presse indépendante et où une dizaine de journalistes sont en prison. Au Kenya, les lois anti-terroristes poussent les journalistes à l'autocensure quand ils ne sont pas directement victimes de pressions.
President Barack Obama
Maison Blanche
1600 Pennsylania Ave, NW
Washington, DC 20500
Washington DC, le 22 juillet 2015
Monsieur Le Président,
Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de l’information, tient à vous faire part de ses préoccupations concernant la situation de la liberté de la presse au Kenya et en Ethiopie, en amont de vos visites dans ces deux pays cette semaine.
Le Kenya est placé 100e sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse que RSF a publié en 2015, tandis que l’Ethiopie est à la 142e position.
Au Kenya, en dépit de la Constitution qui garantit la liberté d’expression et de la presse, les efforts du gouvernement pour combattre le terrorisme semblent avoir eu pour prix la sécurité des journalistes. Les lois draconiennes – comme celle de 2013 créant une cour spéciale pour les médias, nommée par le gouvernement, pour statuer sur les contenus éditoriaux, ou le Security Laws Amendment Act de 2014, conçu pour combattre l’extrémisme et renforcer la sécurité – servent trop souvent de prétexte pour intimider et faire taire les journalistes.
L’énergie du gouvernement à combattre le terrorisme ne se retrouve pas dans la lutte contre l’impunité. A titre d’exemple, le meurtre de John Kituyi cet avril reste toujours impuni. Ce journaliste kenyan a été battu à mort par ces agresseurs non-identifiés alors qu’il rentrait chez lui. Il semblerait que l’attaque ait été ciblée puisque ses meurtriers lui ont pris son téléphone portable mais pas son porte-monnaie. Selon des membres de sa famille, il avait reçu avant son assassinat des menaces suite à des publications dans son journal The Mirror, notamment sur l’interférence des autorités kenyanes avec les témoins du procès du président député William Ruto devant la Cour pénale internationale.
Les Etats-Unis doivent pousser le gouvernement kenyan à protéger les journalistes et à mettre fin à ce climat d’impunité. Les lois qui répriment les libertés d’information et d’expression doivent être abrogées et les journalistes doivent être libres de couvrir tous les sujets sans crainte de représailles.
En Ethiopie, la situation des journalistes et net-citoyens est encore plus sombre. RSF salue la libération récente des journalistes Reyot Alemu, Tesfalem Waldyes, Asmamaw Hailegiorgis, et Edom Kasaye, ainsi que la libération de deux membres du collectif de blogueurs Zone9, Mahlet Fantahun et Zelalem Kibret. Mais l’organisation reste toujours très inquiète pour tous ceux toujours derrière les barreaux. Les autres blogueurs de Zone9, Befekadu Hailu, Atnaf Berhane, Natnail Feleke et Abel Wabella ont été arrêtés pour les mêmes faits que leurs collègues libérés, et sont pourtant toujours en détention depuis leur arrestation en avril 2014. Accusés d’actes de terrorisme, ils encourent une peine maximum de 15 ans de prison pour avoir simplement annoncé la reprise de leur blog. Un autre journaliste condamné en même temps que Reyot Alemu, Woubeshet Taye, est lui aussi toujours en prison. Ancien rédacteur en chef adjoint de l’Awramba Times, il a été condamné pour actes de terrorisme en 2012. Il purge actuellement une peine de 14 ans de prison.
Nous voulons croire que ces libérations ne sont pas simplement opportunistes mais qu’elles amorcent le début d’une politique générale propice à une réelle liberté d’information.
La loi de 2009 sur le terrorisme, souvent utilisée pour faire taire les critiques du gouvernement éthiopien, vise surtout les journalistes et blogueurs. En 2014, des menaces contre des médias privés ont forcé six publications à fermer et des douzaines de journalistes à quitter le pays. Beaucoup de ces journalistes se sont exilés au Kenya et ne se sentent toujours pas en sécurité face au gouvernement éthiopien, selon nos informations recueillies lors de notre visite à Nairobi l’an dernier.
Puisque l’Éthiopie est l’un des pays étrangers qui reçoit le plus d’aide financière du gouvernement américain, il est primordial que les Etats-Unis poussent le gouvernement éthiopien à libérer les journalistes et blogueurs qui sont toujours en prison. Les Etats-Unis doivent aussi encourager le gouvernement éthiopien à desserrer son étau sur les médias privés, afin que les journalistes et net-citoyens puissent continuer à traiter de sujets importants d’intérêt public sans craindre d’être arrêtés.
La lutte contre le terrorisme au Kenya et en Éthiopie ne doit pas sacrifier la liberté d’information et la liberté de la presse. Nous espérons que vous pourrez aborder cette question cruciale lors de vos discussions avec vos homologues dans ces deux pays.
Je vous remercie d’avance, Monsieur le Président, pour l’attention que vous accorderez à cette lettre.
Cordialement,
Christophe Deloire
Secrétaire général