RSF demande à Ankara de protéger les journalistes syriens réfugiés en Turquie

Alors que le gouvernement turc procède à une nouvelle vague d'expulsions de réfugiés, Reporters sans frontières (RSF) avertit que de nombreux journalistes syriens risquent d’être emprisonnés ou enlevés, voire d’être tués, s'ils sont renvoyés dans leur pays. L’organisation appelle la Turquie à les protéger.

“Nous vivons dans la terreur.” Voilà comment cinq journalistes syriens réfugiés en Turquie, qui ont pu être joints par RSF, décrivent leur quotidien ces dernières semaines. Sous couvert d’anonymat, trois d’entre eux racontent devoir vivre cachés, être incapables de se promener dans la rue et encore moins d'aller travailler. “J’ai perdu mon travail dans un média syrien ici parce que je ne pouvais plus me rendre au travail. Si je sors, je risque de me faire renvoyer en Syrie. Je ne sais plus quoi faire,” raconte l’un de ces journalistes au téléphone.



Sa crainte, partagée par un grand nombre de ses confrères en Turquie, est fondée :  depuis le début d’année, période pré-électorale, qui a conduit à la réélection, le 28 mai dernier, du chef de l’État Recep Tayyip Erdogan, le gouvernement turc procède à une nouvelle vague d’expulsions de réfugiés. Les journalistes qui ont fui la Syrie ne sont pas épargnés. Arrêtés dans la rue, et parfois même à leurs domiciles, ils sont ensuite interrogés, maltraités, et menacés d'expulsion vers leur pays de départ, l'un des territoires les plus dangereux au monde pour les journalistes.

"Aucune région en Syrie n'est sûre pour les journalistes. Les renvoyer dans le pays qu'ils ont fui en raison de leur activité professionnelle, c'est leur faire courir le risque d'être emprisonnés ou enlevés, voire assassinés. Le pouvoir turc le sait. Les journalistes sont une nouvelle fois otages de rapports de forces diplomatiques. Nous demandons aux autorités de Turquie de s’astreindre, au minimum, au strict respect du principe de non-refoulement, d’accorder aux journalistes syriens sur leur territoire toute la protection nécessaire, et de faciliter, en ce sens, leurs démarches administratives."

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Derrière le prétexte de papiers périmés, un revirement diplomatique

Les autorités turques s’en prennent généralement aux journalistes syriens, sous le prétexte de papiers périmés. Réfugié en Turquie après avoir fui la Syrie en août 2021, le journaliste Khaled Obeid a été confronté au problème : titulaire du document d'identité délivré aux demandeurs de protection internationale un document valide pendant un an il pensait être en règle. Il a cependant appris, lors d’un passage à l’hôpital en novembre 2022, que le papier qui lui garantissait une relative sécurité n’était plus jugé valide, faute d'une mise à jour de ses informations. Il a été arrêté le 11 janvier 2023 par les autorités turques, alors qu'il était en reportage à Osmaniye pour le média Creative Syrians, et qu’il était en attente d’un rendez-vous administratif, prévu quelques jours plus tard, pour régulariser sa situation. Il a depuis été contraint de signer des formulaires d'expulsion “volontaire” et a été reconduit en Syrie.

En janvier 2023 également, un autre journaliste syrien a été arrêté à son domicile en Turquie, juste après l'expiration de son document de protection. Libéré temporairement par les autorités en marge du chaos causé par le séisme qui a frappé le sud du pays en février 2023, il vit désormais caché. Les forces de l’ordre se présentent régulièrement au domicile de sa famille pour procéder à son arrestation. 

En réalité, cette rigueur administrative traduit un revirement diplomatique. En 2014, le président Erdogan avait accordé à des millions de Syriens une protection temporaire en Turquie, tout en accusant le président syrien, Bachar al-Assad, de "terrorisme d'État". En 2019, RSF tirait déjà la sonnette d’alarme face à un regain d’expulsions des journalistes syriens pour des raisons de politique étrangère. Et, depuis plusieurs mois, alors que la Turquie, comme d’autres pays de la région, s'efforce de rétablir des relations diplomatiques avec Damas, les journalistes peinent à renouveler leur papier de demande de protection temporaire. 

En outre, si les professionnels de l’information sont en danger lorsqu'ils sont expulsés vers la Syrie, ils le sont encore davantage lorsqu'ils ont continué à couvrir, depuis la Turquie, l'actualité de leur pays d'origine. Ils sont particulièrement ciblés par les différentes autorités qui contrôlent les régions de la Syrie, notamment l'Armée syrienne libre, qui regroupe des milices d'opposition soutenues par la Turquie, le groupe militant islamiste Hay'at Tahrir al-Sham (HTS) et les forces syriennes. Même si leur renvoi se fait généralement en territoire rebelle, plutôt que dans les zones contrôlées par le gouvernement, les journalistes sont toujours à la merci de groupes militants capables de les menacer, de les enlever et de les assassiner. 

Depuis 2011 et le début de la guerre en Syrie, entre 300 et 700  journalistes, professionnels et non professionnels, ont été tués dans le pays, dont 3 en 2022. Plus de 300 journalistes ont été arrêtés et près d’une centaine ont été victimes d’enlèvements. À ce jour, presque une centaine de ces journalistes arrêtés ou enlevés sont toujours portés disparus.

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