RSF dénonce le harcèlement qui vise le reporter indien Prateek Goyal
Rédacteur au site d’information Newslaundry, le journaliste fait l’objet d’attaques répétées. Reporters sans frontières (RSF) demande à l'exécutif local de mettre un terme à cette situation, qui mêle népotisme, pressions policières et instrumentalisation de la justice.
Une “impitoyable campagne de harcèlement”, voire une “guerre”… C’est en ces termes que le site d’information sur les médias Newslaundry décrit les attaques répétées qui visent l’un de ses journalistes, Prateek Goyal. Celui-ci a commis l'impair d’avoir signé deux articles à propos de Sakal Media Group, l’un des principaux groupes de presse de l’Etat du Maharashtra (sud-ouest de l’Inde).
Le premier, publié le 27 mars dernier, portait sur un plan de licenciement de 15 employés de la rédaction du Sakal Times, et ce en violation d'une directive gouvernementale qui interdit justement tout licenciement économique en période de pandémie. Dans le second article, publié le 11 juin, Prateek Goyal révèle un nouveau plan de licenciement qui concerne cette fois la cinquantaine d’employés du journal, ainsi que la fermeture de son édition papier.
Cinq jours plus tard, Newslaundry a reçu une notification de la part du groupe Sakal décrivant les articles comme “faux et diffamatoires”, et réclamant des dommages et intérêts à hauteur de 650 millions de roupies (7,5 millions d’euros) pour “perte de réputation” et “souffrances mentales”.
Accusations absurdes
“C’est totalement absurde, tranche Prateek Goyal, interrogé par RSF. Ils n’expliquent nulle part ce qui serait “faux” dans mes articles. Ceux-ci sont basés sur des faits, à propos desquels j’ai des preuves. S’ils peuvent désigner quelque chose d’incorrect, en bon reporter, je veux bien le corriger et m’excuser.” De fait, cette notification n’a mené à rien.
Le groupe Sakal est revenu à la charge sur le plan pénal en septembre dernier, pour “utilisation abusive du logo” de la société. Les deux articles de Prateek Goyal ont en effet été publiés avec le logo du groupe comme illustration. “Ce n’est aucunement une violation de la loi sur les marques déposées, a déclaré à RSF l’avocat du reporter et du site, Nipun Katyal. Le logo n’a pas été utilisé à des fins commerciales. C’est une pratique normale d’illustrer un article sur une société avec son logo.”
Mais en raison de cette plainte, la police de la ville de Pune, où est basé le reporter, a transformé sa vie en enfer. “Les policiers le pourchassent littéralement, poursuit Nipun Katyal. Ils l’appellent sans raison et lui posent des questions totalement saugrenues. Il ne peut plus rester chez lui, et doit aller loger chez des amis dans d’autres parties de la ville, simplement pour échapper au harcèlement des policiers.”
L’avocat a porté cette affaire devant la Haute Cour de Bombay, la capitale régionale. La prochaine audience est prévue demain, mardi 24 novembre.
Cauchemar
“Nous appelons les juges du tribunal de Bombay à mettre un terme au cauchemar que vit Prateek Goyal en levant immédiatement cette accusation absurde d’utilisation d’un logo et de diffamation, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous demandons également au Premier ministre de l’Etat du Maharashtra, Uddhav Thackeray, de faire en sorte que son gouvernement cesse tout type d’influence sur l'appareil policier dans le but de harceler les journalistes qui gênent. Il en va de sa crédibilité sur le plan national et international."
Selon Prateek Goyal, un policier a confirmé, sous couvert de l'anonymat, que ses collègues et lui subissent de fortes pressions de la part du ministère de l'Intérieur de l'Etat afin de l’incriminer. Et pour cause : issus d’une puissante famille de la région, les dirigeants du groupe Sakal sont parents avec le vice-Premier ministre du Maharashtra, Ajit Pawar, et avec son oncle Sharad Pawar, le chef du Parti nationaliste du congrès, membre de la coalition au pouvoir à Bombay.
Fausses preuves
Dernier épisode en date : malgré l’absence d’ordre écrit, les policiers exigent que Prateek Goyal leur remette son ordinateur portable. “Je ne vois pas en quoi mon ordinateur pourrait servir dans cette enquête sur une marque déposée, déplore le journaliste. Et s’ils le pirataient ? S’ils y plaçaient de fausses preuves pour faire porter de plus graves accusations contre moi ?”
Pour de nombreux observateurs, ce ne serait pas la première fois que la police de la ville de Pune aurait recours à cette pratique. En juin 2018, elle avait arrêté neuf défenseurs des droits humains, dont le journaliste et éditorialiste Gautam Navlakha, les accusant d’avoir conspiré en vue de tuer le Premier ministre. Les seuls éléments à charge avaient été tirés des ordinateurs ou téléphones des accusés, préalablement confisqués par la police.
En vertu de ces preuves suspectes, Gautam Navlakha croupit actuellement en prison depuis son arrestation, le 14 avril dernier. Il risque sept ans de réclusion criminelle. Prateek Goyal craint sincèrement que le même sort puisse lui être réservé en raison des deux articles publiés en mars et en juin.
Si l’Inde peut se prévaloir d’un arsenal juridique relativement protecteur de la liberté de la presse, ces garanties sont souvent bafouées dans la pratique. Le pays se situe à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.