Du 14 au 16 juillet 2015, le responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières, Benjamin Ismaïl, assistera en tant qu’observateur au procès du rédacteur en chef australien du site d’information
Phuketwan Alan Morison et de sa collaboratrice thaïlandaise
Chutima Sidasathian qui se déroule à Phuket. Ces deux journalistes, qui risquent sept ans de prison, sont accusés par la Marine royale thaïlandaise de s’être rendus coupables de diffamation et d’avoir enfreint la loi sur les crimes informatiques (
Computer Crimes Act -
CCA). Ce texte liberticide, entré en vigueur en 2007, donne aux autorités une grande latitude pour museler les voix dissonantes sur Internet et leur permet de procéder à des arrestations de journalistes et de blogueurs pour motifs politiques.
Alan Morison et Chutima Sidasathian ont été inculpés en décembre 2013 pour avoir cité un rapport de
Reuters portant sur les liens entre les forces navales thaïlandaises et le trafic des réfugiés rohingyas. Avec d’autres médias et ONG, les deux journalistes de
Phuketwan ont été parmi les premiers à dénoncer le trafic humain dont étaient victimes les membres de la communauté rohingya qui, pour fuir les persécutions dont ils font l’objet, tentent de rejoindre la Malaisie par la Thaïlande où ils sont souvent récupérés par les trafiquants. Dans un
article mis en ligne en juillet 2013,
Phuketwan avait publié un extrait d’une enquête de
Reuters dévoilant que certains membres de la marine thaïlandaise tiraient profit de ce trafic d’êtres humains. La citation en question affirme que les forces navales thaïlandaises seraient payées pour fermer les yeux sur le passage clandestin de réfugiés rohingyas, mais ne mentionne pas explicitement la Marine royale thaïlandaise. Bien qu’ils n’aient fait que citer un paragraphe de cette enquête, Alan Morison et Chutima Sidasathian ont tous les deux été accusés de diffamation et de violation du
Computer Crimes Act. L’agence
Reuters n’a quant à elle pas été inquiétée par les autorités thaïlandaises.
“
Ce procès à l’encontre de deux journalistes, qui n’ont fait qu’effectuer leur mission d’information avec le plus grand professionnalisme, représente un grand danger pour l’ensemble des voix indépendantes aspirant à la liberté d’expression et de l’information, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
Nous exhortons Prayut Chan-o-cha et son gouvernement à cesser sa politique de répression à l’égard de la presse. Ils doivent comprendre que les médias ne sont pas une menace à la sécurité nationale ni à la stabilité politique mais contribuent au contraire à l’amélioration de la société.”
Plus d’un an après le coup d’Etat militaire, la situation de la liberté de la presse continue de se détériorer en Thaïlande. Le Premier ministre Prayut Chan-o-cha multiplie les menaces à l’encontre de la presse et resserre son contrôle sur les médias. Le 25 juin dernier, le gouvernement a organisé un
rassemblement à destination des journalistes afin de leur apprendre à poser des questions n’offensant pas le Premier ministre. Le porte-parole de la junte Winthai Suvaree a déclaré que ce séminaire réunissait 200 journalistes locaux et étrangers afin de renforcer leur “compréhension” du gouvernement. Le général
Prayut Chan-o-cha avait déclaré en mars 2015 qu’il “exécuterait probablement” les journalistes ne suivant pas la ligne officielle.
La pression des autorités s’exerce également sur la presse étrangère. Le 26 juin,
le gouvernement a annulé à la dernière minute une table ronde organisée par le Foreign Correspondents Club of Thailand en partenariat avec Human Rights Watch. Ce débat devait coïncider avec la publication d’un rapport de l’ONG sur les persécutions subies par les Montagnards, une minorité ethnique et religieuse vietnamienne en Thaïlande. Selon le gouvernement, un tel évènement aurait “
compromis les relations” entre les deux pays voisins et “
porté atteinte à la sécurité nationale”. C’est la troisième fois en un mois que la junte ordonne l’annulation d’un évènement organisé par le
Foreign Correspondents Club of Thailand. En parallèle, ce dernier rapporte plusieurs cas de journalistes étrangers ayant des difficultés à obtenir ou renouveler leur accréditation.
La Thaïlande est
134e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2015, établi par Reporters sans frontières.