“Roza, ils m'emmènent“ : les derniers mots de Magomed Yevloyev à la rédactrice en chef du site Ingushetiya.ru

Roza Malsagova, la rédactrice en chef du site d'informations Ingushetiya.ru, seule source d'informations critique en Ingouchie, vient de perdre un allié dans son combat contre le silence imposé sur les exactions perpétrées dans cette république du Caucase russe, voisine de la Tchétchénie et contaminée par le conflit qui a ravagé la région. Magomed Yevloyev, propriétaire du site et opposant politique, est mort alors qu'il se trouvait dans les mains des forces de l'ordre.

Roza Malsagova, la rédactrice en chef du site d'informations Ingushetiya.ru, seule source d'informations critique en Ingouchie, vient de perdre un allié dans son combat contre le silence imposé sur les exactions perpétrées dans cette république du Caucase russe, voisine de la Tchétchénie et contaminée par le conflit qui a ravagé la région. Magomed Yevloyev, propriétaire du site et opposant politique, est mort alors qu'il se trouvait dans les mains des forces de l'ordre. Le 31 août 2008, à son arrivée à l'aéroport de Magas (capitale), il a été interpellé par des agents du ministère de l'Intérieur, qui l'attendaient à sa descente de l'avion. Il a pu échanger ces derniers mots avec sa collaboratrice : “Roza ils m'emmènent”, avant d'être retrouvé mort quelques heures plus tard. Selon la version des autorités locales il s‘agirait d'un accident. Le tir fatal serait parti alors que celui-ci aurait essayé de se saisir de l'arme de l'un des policiers. Une enquête criminelle a été ouverte pour “meurtre par imprudence”. Pour Roza Malsagova, réfugiée en France depuis moins d'un mois et interviewée par Reporters sans frontières, il n'en est rien. “C'est un assassinat politique, commandité par le président Mourat Ziazikov”, a déclaré cette femme qui a du se résoudre à quitter la Russie avec ses trois enfants pour survivre. Depuis qu'elle a échangé ses derniers mots avec Magomed Yevloyev, elle dit ne “plus voir d'issue”. Tous deux s'étaient retrouvés, le 26 août à Paris, pour discuter de l'avenir. Depuis le mois de juin 2008, l'accès à Ingushetiya.ru, seul site local d'informations sur les troubles qui agitent la République est interdit par la justice russe pour “extrêmisme”. En leur qualité de propriétaire et de rédactrice en chef, Magomed Yevloyev et Roza Malsagova étaient également poursuivis en justice. Les collaborateurs d'Ingushetiya.ru restés en Russie sont menacés. Certains ont dû choisir la clandestinité, se cachent et doivent sans cesse se déplacer. Bien qu'en danger en Russie, Magomed Yevloyev avait décidé de se rendre brièvement en Ingouchie. Dans le vol reliant Moscou à Magas, la nouvelle capitale, il aurait voyagé en compagnie du président Mourat Ziazikov et, selon une information non confirmée, une dispute aurait éclaté entre les deux hommes. Le 1er septembre, l'un des leaders de l'opposition ingouche, Magomed Khazbiev, a appelé à un rassemblement pour protester contre la mort Magomed Yevloyev - dont les funérailles se sont déroulées le même jour -, exiger une enquête impartiale et réclamer la démission du Président. La manifestation a été dispersée par les troupes spéciales le 2 septembre au matin. A Paris, le 3 septembre 2008, une vingtaine de personnes, dont Roza Malsagova, se sont réunies devant l'ambassade de Russie afin d'exiger des autorités que la lumière soit faite sur la mort de Magomed Yevloyev et sur les violences qui se déroulent en Ingouchie. Les manifestants ont demandé à être reçus par les représentants russes. Ceux-ci ont refusé de les rencontrer le jour même et les ont encouragés à renouveler leur demande. Le site Ingushetyia.ru a été fondé en 2001 avec le soutien de Mourat Ziazikov. L'instauration progressive d'une répression systématique de toute contestation par celui qui est devenu, en avril 2002, le nouveau président, a entraîné la rupture avec l'équipe du site. Financé par Magomed Yevovlev, il a continué de publier des informations concernant les disparitions en Ingouchie, notamment au travers de photos montrant les lieux de détention - voire d'exécution - des civils enlevés par l'armée russe. Afin de contrecarrer les informations délivrées par les journalistes, le président Mourat Ziazikov a créé un site Internet pro-gouvernemental en mars 2008, dont l'adresse ressemble à celle d'Ingushetiya.ru : http://ingushetiyaru.net. Les fournisseurs d'accès à Internet d'Ingouchie avaient reçu l'ordre de bloquer l'accès au site dès le mois d'avril 2007. Les journalistes d'Ingushetiya.ru avaient alors distribué leurs articles sous forme de tracts dans les rues de Nazran. En juillet 2008, ils se sont procurés une liste de noms d'agents du FSB impliqués dans les disparitions qu'ils dénoncent. A la suite de sa publication, Magomed Yevovlev a été menacé et Roza Malsagova mise sur écoute. Le site est bloqué en Ingouchie sur décision de la justice russe depuis le 12 août 2008. La population civile d'Ingouchie endure les pires violences, au nom de la lutte du Président Mourat Ziazikov - ancien général des services secrets russes arrivé au pouvoir en 2002 - contre la rébellion islamiste à l'oeuvre dans le pays. Les citoyens sont contraints de taire les enlèvements, exécutions sommaires, et tortures infligés à la population, sous la menace de représailles. Opérations antiterroristes, attentats, razzias de groupes armés non identifiés, les horreurs qui se déroulent en Ingouchie n'ont rien à envier à celles des pires moments de la guerre en Tchétchénie. Plus d'informations sur la situation en Ingouchie. Chronologie :
Publié le
Updated on 20.01.2016

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