"Rien n'a été fait depuis mon agression"
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Makis Nodaros, journaliste du quotidien Eleftherotypia, a été violemment agressé devant son domicile par deux inconnus, le 23 octobre 2008. Une attaque qui pourrait être liée aux enquêtes qu'il mène sur l'utilisation et la gestion des fonds destinés à la reconstruction des régions touchées par les incendies d'août 2007. L'enquête qui a été ouverte pour déterminer les auteurs et les commanditaires de son agression n'a pas progressée. Reporters sans frontières a recueilli ses impressions.
Reporters sans frontières : Que vous est-il arrivé le 20 octobre 2008 ?
Makis Nodaros (MN) : C'était jeudi, aux alentours de 11h00. Je venais de terminer l'émission radio que j'anime sur Ionian FM, et je rentrais chez moi. Je venais de sortir avec tous mes dossiers sous le bras, mon ordinateur portable et mon téléphone, lorsqu'un un homme au teint mat est venu vers moi. Je l'ai vu du coin de l'œil. Il est sorti des bosquets qui bordent l'entrée de mon immeuble et m'a demandé si j'étais bien le journaliste Makis Nodaros. Au même moment, un autre homme aux cheveux blonds est sorti d'un autre bosquet. Dès que j'ai dit "oui", l'homme au teint mat a commencé à me frapper. J'ai reçu plusieurs coups dans le ventre et sur la tête. Je suis tombé par terre et il a continué à me frapper à coups de pied. J'ai vu l'autre homme piétiner mon ordinateur. J'ai appelé à l'aide et des gens sont venus. Mes agresseurs ont alors pris la fuite à moto, en emportant mon téléphone portable avec tous mes contacts et mes documents. L'attaque a duré tout au plus cinq minutes.
Reporters sans frontières : Qu'avez-vous fait après ?
MN : Je suis immédiatement monté chez moi pour prévenir la rédaction de mon journal Eleftherotypia. J'ai fait bloquer mon téléphone portable. La police est venue. Je me suis ensuite rendu à l'hôpital, où l'on m'a donné les premiers soins. Je souffrais de blessures à la tête, aux côtes, aux bras et aux jambes. J'ai dû porter une minerve pendant plusieurs jours. Je me suis ensuite rendu au commissariat, où j'ai fait ma déposition et porté plainte contre X.
Reporters sans frontières : Quels étaient, selon vous, les motivations de vos agresseurs ?
MN : Ils ne voulaient pas me tuer. S'ils l'avaient voulu, ils l'auraient fait. Ils voulaient me donner une leçon, un avertissement, et me prendre mes documents.
Reporters sans frontières : Pensez-vous que cette attaque soit liée à vos activités de journaliste ?
MN : Sans nul doute. Depuis quelque temps, je publie régulièrement des articles dans le quotidien Eleftherotypia sur les malversations de la mairie de Zacharo dans le Péloponnèse (ndlr : région qui a été la plus touchée par les incendies d'août 2007 qui ont fait plus de vingt-cinq morts). La mairie veut utiliser, et elle a déjà commencé à le faire, les fonds destinés aux régions sinistrées pour rénover une partie de ses infrastructures. Ces dernières n'ont pourtant pas été touchées par les incendies. Mes articles ont entrainé l'arrêt des travaux et une enquête a été ouverte. Une semaine avant mon agression, Spiros Kioskai, le seul survivant de l'incendie qui a touché le village Artemida, est venu me dire que les affirmations selon lesquelles le maire de Zacharo avait été pris dans les incendies qui ont dévasté le village étaient fausses. Spiros Kioskai se trouvait avec la famille qui a été piégée par le feu et il n'a pas vu le maire. Personne ne l'a vu. J'ai publié ce témoignage. Notre équipe a également découvert que des constructions illégales avaient été réalisées dans des régions protégées par le programme européen Natura 2000.
Reporters sans frontières : Avez-vous reçu des menaces ?
MN : Non, mais le maire de Zacharo, Pantazis Chronopoulos, s'est plaint à plusieurs reprises auprès de Vaggelis Panagopoulos, rédacteur en chef d'Eleftherotypia. Ce dernier m'a toujours soutenu et il a proposé à Pantazis Chronopoulos un droit de réponse dans Eleftherotypia. Le maire ne nous a jamais rien communiqué. Tout ceci me conforte dans l'idée que les commanditaires de mon agression sont plutôt proches de la mairie.
Reporters sans frontières : Vous vous attendiez à une telle attaque ?
MN : Je ne pensais pas que leurs réactions seraient aussi violentes.
Reporters sans frontières : Avez-vous déjà été attaqué ?
MN : Oui, il y a un peu plus de six ans. J'enquêtais sur la corruption au sein de la police. A cette époque, je circulais en Vespa. Quelqu'un l'avait sabotée en retirant le câble de sécurité de la roue avant. Je roulais tranquillement et j'ai subitement perdu le contrôle de la moto. Je me suis retrouvé dans le sens contraire de la circulation, sur la voie opposée. J'ai porté plainte. Mais il n'y a eu aucune suite.
Reporters sans frontières : L'enquête ouverte sur votre dernière agression peut-elle aboutir ?
MN : Je ne sais pas. Il n'y a jamais eu aucune personne arrêtée ou interpellée, ni à l'époque, ni aujourd'hui.
Reporters sans frontières : Vous sentez-vous en danger ?
MN : Je n'ai pas peur pour moi, mais je m'inquiète pour mes proches. J'ai demandé qu'une voiture de police patrouille toutes les deux heures devant chez moi, mais je ne vois rien pour le moment.
Reporters sans frontières : Les journalistes sont-ils en danger en Grèce ?
MN : Ceux qui enquêtent sur certains sujets sont en danger. En octobre 2004, mon collègue Philippos Sirigos, directeur de la rubrique sport à Eleftherotypia, a été agressé par deux inconnus à moto. Ils l'ont frappé à la tête à coups de barre de fer et l'ont poignardé à quatre reprises, avant de disparaitre. Philippos Sirigos enquêtait sur une très grosse affaire de dopage. Les enquêtes qui sont ouvertes sur ces cas doivent être suivies et, si possible, aboutir à l'arrestation des coupables. Au risque de conforter ceux qui sont gênés par nos articles dans l'idée qu'ils peuvent, en toute impunité, nous frapper pour nous faire taire.
Reporters sans frontières : Est-ce que la liberté de la presse est une réalité en Grèce ?
MN : C'est un vaste débat. Oui, il y a une liberté de la presse en Grèce. Le problème est la multiplication des actions judiciaires à l'encontre des journalistes. Je suis visé par quatorze affaires en cours, ou en attente. Certaines remontent au début de mes activités, en 1990. J'ai le soutien d'Eleftherotypia, mais c'est une importante perte de temps, d'autant qu'on ne comparaît pas au pénal, mais directement au civil. C'est deux fois plus difficile. Sans compter les frais occasionnés.
Athènes : Correspondante Reporters sans frontières
Publié le
Updated on
20.01.2016