Reprise du procès du massacre de Maguindanao : les éclairages d'une avocate et d'une journaliste
Organisation :
Le procès des suspects du massacre de Maguindanao au cours duquel 32 professionnels des médias ont été tués, doit reprendre le 1er septembre 2010 à Quezon City, près de Manille. Les audiences préliminaires s'étaient conclues le 17 août. Au moins 700 personnes, dont 196 accusés, 200 témoins du ministère public et 300 de la défense seront entendus. Considérant l'ampleur de cette affaire, les procureurs estiment que le procès pourrait durer plusieurs années.
Le principal suspect est l'ancien maire de Datu Unsay, Andal Ampatuan Jr., qui est accusé de 57 meurtres. D'autres membres de son clan sont dans l'attente du verdict d'une demande de révision de la procédure engagée contre eux, qui a été déposée auprès du ministère de la Justice.
Ce procès est un test majeur pour l'Etat de droit et la lutte contre l'impunité aux Philippines. Reporters sans frontières recommande :
1. la mise en œuvre par l'Etat de moyens matériels et humains suffisants pour que le procès des principaux accusés puisse se dérouler dans des délais raisonnables.
2. le renforcement du budget accordé au ministère de la Justice pour la protection des témoins et leurs familles dans cette affaire.
Afin de mieux cerner les enjeux de ce procès, Reporters sans frontières a interrogé l'avocate Prima Jesusa Quinsayas, représentante des familles de 17 journalistes assassinés à Maguindanao, pour le compte du Freedom Fund for Filipino Journalists (FFFJ).
RSF : Quelle est la stratégie des accusés et de leurs dix-sept avocats ?
PJQ : Il y a trois dates annoncées, les 1er, 8 et 15 septembre, qui vont permettre au ministère public de présenter ses arguments.
Pour ce qui est de la stratégie des suspects, on peut se référer à l'interview de l'avocat Philip Pantojan en janvier 2010 et aux différentes motions qu'ils ont déposées. Il apparaît qu'ils tentent de rejeter la culpabilité sur d'autres personnes, notamment sur Datu Rasul Sangki, le maire adjoint de Ampatuan, qui est également un témoin du procureur.
Par ailleurs, les avocats des accusés tentent de retarder la procédure et d'embourber l'affaire grâce à plusieurs récusations. En l'occurrence, ils en ont déposé huit depuis le début du procès. Ils ont également eu recours à des "motions auxiliaires" qui ralentissent également le traitement de l'affaire. Enfin, les avocats tentent de ralentir le rythme de la justice en déposant des recours devant d'autres cours. Par exemple, deux recours en certiorari ont été déposés par deux membres de la famille Ampatuan devant des cours d'appel.
Aujourd'hui, en plus de l'affaire principale, qui inclut des poursuites pour 57 meurtres, il y a plus de 20 autres affaires devant la justice, par exemple à la suite des plaintes de malversation, tentative d'assassinat, possession d'arme interdite ou insulte. L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est de pouvoir fournir une aide logistique suffisante au ministère public. Il est à noter que le soutien aux familles des journalistes tués a été important, mais celui accordé aux proches des six innocents qui ne faisaient que passer par cette route a été négligé.
RSF : Quelles sont les demandes des familles que vous représentez ?
PJQ : Pour ce qui est des victimes, les 17 familles de professionnels des médias qui bénéficient de l'assistance légale du FFFJ, demandent que les efforts soient concentrés sur la nécessité de faire condamner les principaux responsables du clan Ampatuan. Il faut éviter de se laisser déconcentrer par des questions annexes.
RSF : Quelle est la situation des témoins ? Existe-t-il des risques pour leur vie ?
PJQ : Etant donné le grand nombre de témoins – un total de 228 – cités par le ministère public, il est inévitable que certains soient exposés à des menaces. On peut citer :
a. la plainte en diffamation déposée contre le témoin Lakmodin Saliao par l'avocat de la défense Philip Pantojan ;
b. une plainte pour meurtre montée de toutes pièces contre le témoin Mohamad Sangki ;
c. des attentats contre les propriétés de la famille Sangki dont certains membres sont cités par l'accusation ;
d. des menaces de mort à l'encontre de la famille de l'ancien officier de police Badawi Bakal ;
e. des tentatives de subornation de témoins pour qu'ils renoncent à venir devant la cour, comme ce fut le cas pour Kenny Dalandag ;
f. l'assassinat de Mohammad Isa Sangki, le frère du témoin Mohamad Sangki, et la tentative d'assassinat à l'encontre d'Ibrahim Ebus, le frère du témoin Rainer Ebus.
De fait, ces menaces persistantes nous obligent à assurer la sécurité des nombreux témoins et de leurs familles. Si on considère qu'une famille compte environ quatre personnes, cela représente plusieurs centaines de personnes qui doivent bénéficier du programme de protection de la justice.
RSF : Quelle aide est apportée par le FFFJ aux familles ? Et quels sont leurs besoins ?
PJQ : En plus de l'aide juridique, le FFFJ apporte une assistance humanitaire sous la forme d'un soutien à la scolarisation, à l'accès aux soins et au logement des familles des journalistes assassinés. Et, bien entendu, nous soutenons toutes les familles des journalistes assassinés à Maguindanao.
Avec le soutien actif de l’instrument de développement européen des droits de l’homme (IEDHR) de l’Union européenne, dont Reporters sans frontières est bénéficiaire, l’organisation a pu venir en aide au FFFJ pour que des témoins puissent être entendus au procès.
------
Par ailleurs, l'organisation a interrogé la journaliste philippine Sheila Coronel, actuellement directrice du Centre Stabile pour le journalisme d'investigation de l'Université Columbia à New York, à propos des conditions qui ont rendu possible ce massacre de Maguindanao. RSF : Pensez-vous qu'il y ait une chance que justice soit rendue dans cette affaire ? SC : La magnitude et la nature de ces assassinats ont provoqué un choc dans le monde entier. De nombreuses organisations à l'étranger, notamment le rapporteur spécial des Nations unies, ont condamné ce massacre. Si ces groupes et personnalités sont vigilantes et si l'attention du public sur ce cas est maintenue, alors la justice sera possible. Ce procès peut devenir une opportunité pour agir contre l'impunité. C'est un test pour notre gouvernement. Le nombre d'assassinats politiques aux Philippines a diminué récemment. Le gouvernement central a en effet été obligé de répondre à la pression de l'opinion publique philippine et étrangère. Il y a ainsi eu des condamnations d'assassins de journalistes. Pour autant, la situation dans la région où a eu lieu le massacre reste très dangereuse. Le conflit entre les clans armés est ancien, même avant la chute de Marcos et le retour de la démocratie en 1986. RSF : Quelle doit être la priorité pour la communauté internationale ? SC: Maintenant qu'une assistance a été fournie, le défi est de s'assurer que justice soit rendue aux journalistes tués. (…) Pour le long terme, la sécurité ne sera garantie qu'avec la disparition des armées privées des clans des politiciens locaux. Les miliciens doivent pouvoir bénéficier de programmes de réhabilitation. Il est également important de renforcer la société civile dans cette région. Autrement, il n'y aura pas de contrôle sur le pouvoir des clans, et la violence reprendra de plus belle. Dans ce cas, les victimes de ce massacre, comme tant d'autres dans le passé, seront oubliées. Plus d'informations sur le massacre de Maguindanao : http://fr.rsf.org/philippines-le-bilan-s-eleve-a-30-journalistes-26-11-2009,35087.html
Par ailleurs, l'organisation a interrogé la journaliste philippine Sheila Coronel, actuellement directrice du Centre Stabile pour le journalisme d'investigation de l'Université Columbia à New York, à propos des conditions qui ont rendu possible ce massacre de Maguindanao. RSF : Pensez-vous qu'il y ait une chance que justice soit rendue dans cette affaire ? SC : La magnitude et la nature de ces assassinats ont provoqué un choc dans le monde entier. De nombreuses organisations à l'étranger, notamment le rapporteur spécial des Nations unies, ont condamné ce massacre. Si ces groupes et personnalités sont vigilantes et si l'attention du public sur ce cas est maintenue, alors la justice sera possible. Ce procès peut devenir une opportunité pour agir contre l'impunité. C'est un test pour notre gouvernement. Le nombre d'assassinats politiques aux Philippines a diminué récemment. Le gouvernement central a en effet été obligé de répondre à la pression de l'opinion publique philippine et étrangère. Il y a ainsi eu des condamnations d'assassins de journalistes. Pour autant, la situation dans la région où a eu lieu le massacre reste très dangereuse. Le conflit entre les clans armés est ancien, même avant la chute de Marcos et le retour de la démocratie en 1986. RSF : Quelle doit être la priorité pour la communauté internationale ? SC: Maintenant qu'une assistance a été fournie, le défi est de s'assurer que justice soit rendue aux journalistes tués. (…) Pour le long terme, la sécurité ne sera garantie qu'avec la disparition des armées privées des clans des politiciens locaux. Les miliciens doivent pouvoir bénéficier de programmes de réhabilitation. Il est également important de renforcer la société civile dans cette région. Autrement, il n'y aura pas de contrôle sur le pouvoir des clans, et la violence reprendra de plus belle. Dans ce cas, les victimes de ce massacre, comme tant d'autres dans le passé, seront oubliées. Plus d'informations sur le massacre de Maguindanao : http://fr.rsf.org/philippines-le-bilan-s-eleve-a-30-journalistes-26-11-2009,35087.html
Publié le
Updated on
20.01.2016