Reporters sans frontières interpelle le futur Président sur les lois bâillons en vigueur
L'organisation s'est adressée au président élu Martín Torrijos Espino (photo) au sujet du projet de réforme constitutionnelle proposé par le PRD, son parti : "Alors que l'article 33 de la Constitution est une compilation inouïe de violations de la liberté de la presse, la proposition de votre parti ne supprime aucune disposition liberticide".
Président élu de la République du Panama
Panama Ciudad
Panama Paris, le 30 juin 2004 Monsieur le Président élu*, Reporters sans frontières est abasourdie par le projet de réforme de la Constitution proposé par votre parti qui laisse intactes toutes les dispositions liberticides contenues dans son article 33. Selon nos informations, la commission parlementaire sur la justice et les affaires constitutionnelles de l'Assemblée législative a commencé à examiner, le 24 juin 2004, un projet de réforme de la Constitution proposé par le Parti révolutionnaire démocratique (PRD) dont vous êtes le secrétaire général. Cette réforme inclut la réécriture de l'article 33 relatif à l'outrage aux fonctionnaires et qui porte également sur l'obéissance due par les membres des forces de l'ordre et les marins à leurs supérieurs hiérarchiques. Telle qu'elle est formulée, la proposition d'article maintient le délit d'outrage et le droit des fonctionnaires lésés d'ordonner l'incarcération de leur offenseur sans procès. Seule différence, désormais l'incarcération ne pourra pas excéder 24 heures, alors que la Constitution ne fixait jusque-là aucune limite. Les sanctions sont indiquées dans les articles 202 et 386 du code de procédure judiciaire et l'article 827 du code administratif et prévoient de trois jours à deux mois de détention selon le statut de l'élu ou du fonctionnaire. Ainsi, alors que l'article 33 de la Constitution est une compilation inouïe de violations de la liberté de la presse, la proposition de votre parti ne supprime aucune disposition liberticide. Le délit d'outrage est maintenu, en contradiction avec l'article 11 de la Déclaration de principes sur la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui précise : "Les lois qui pénalisent l'expression offensive dirigée contre les fonctionnaires portent atteinte à la liberté d'expression et au droit à l'information". Cet article ajoute qu'il est normal, en démocratie, que ces derniers soient l'objet "d'une surveillance plus approfondie de la part de la société". De même, le texte proposé maintient la détention comme sanction d'une expression alors que, dans un texte adopté en janvier 2000, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression des Nations unies a clairement établi que "l'emprisonnement en tant que condamnation de l'expression pacifique d'une opinion constitue une violation grave des droits de l'homme". Donc, en contradiction avec tous les principes du droit, ce projet de réforme continue de donner une façade légale à une détention arbitraire exécutée en l'absence de tout procès. A ce sujet, mettre sur le même plan le respect dû par les citoyens et les journalistes aux fonctionnaires et l'obéissance due par les militaires et les marins à leur hiérarchie relève d'une conception pour le moins autoritaire de la démocratie... L'article 33 de la Constitution est anachronique et indigne du Panama. En tant que secrétaire général du PRD, nous vous demandons de réviser ce texte en éliminant toute référence à l'alinéa 1 de l'actuel article 33 qui instaure le délit d'outrage aux fonctionnaires. En tant que président élu, nous vous prions de vous engager à éliminer dans les 100 premiers jours de votre mandat les peines de prison pour délits de presse prévues dans le code pénal. De telles décisions témoigneraient de votre engagement, en tant que Président, à respecter la liberté de la presse, et de votre volonté de changer l'image du Panama. Votre pays est aujourd'hui pointé du doigt sur la scène internationale pour sa législation rétrograde. Environ 80 journalistes, poursuivis pour "outrage" à fonctionnaire ou "diffamation", risquent toujours la prison pour leurs écrits. Dans l'attente d'une réponse de votre part, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération. Robert Ménard Secrétaire général *Elu le 2 mai dernier, Martín Torrijos Espino prendra ses fonctions de Président le 1er septembre 2004. Il succède à Mireya Moscoso (1999-2004).